Les enjeux de la stratégie vaccinale contre la Covid-19

Avis n° 3/2020 du Conseil pour l’engagement des usagers
Avis du Conseil pour l’engagement des usagers - Posted on Nov 09 2020

L'essentiel

Recommandation n°1. L’acceptabilité sociale de la vaccination, et notamment son organisation, doivent être discutées avec des groupes représentatifs des populations concernées, leurs parties prenantes ou par voie de consultation publique.

Recommandation n°2. Quand des populations prioritaires sont définies, les critères de priorisation doivent être justifiés scientifiquement et sur la base de fondements éthiques, et reposant sur une démonstration compréhensible pour tous.

Recommandation n°3. La communication publique doit absolument reposer sur une présentation du bénéfice pour la personne concernée, et du bénéfice collectif pour ses proches et l’ensemble de la société.

Recommandation n°4. La communication auprès du grand public doit être effectuée dans un langage adapté au plus grand nombre, d’une part, et aux cibles spécifiques, d’autre part, en s’appuyant alors sur les associations concernées.

Recommandation n°5. L’organisation de la vaccination doit permettre l’accès du plus grand nombre sans omettre de recours aux stratégies d’aller-vers, pour la rapprocher des bénéficiaires potentiels en recourant autant que de besoin aux structures en capacité de conduire ces démarches, y compris les approches en santé communautaire.

Recommandation n°6. Pour la pleine effectivité de la vaccination et de sa sécurité, sa traçabilité justifie le recours à des outils numériques dans le respect des règles protégeant la vie privée.

Recommandation n°7. La transparence sur la vaccination doit porter sur la justification scientifique des vaccins destinés aux groupes-cibles, les effets secondaires et les effets indésirables dont la notification par tous doit être encouragée, ainsi que sur l’état des stocks disponibles.


Contexte

La HAS a été saisie par le ministre des Solidarités et de la Santé d’une demande d’avis sur la stratégie vaccinale relative à l’épidémie de Covid-19.

En réponse à cette saisine, la HAS a d’ores et déjà produit une note de cadrage qui présente les objectifs, les axes et les modalités de travail qu’elle retient en vue des réponses attendues par le ministre des Affaires sociales et de la Santé. Elle prévoit la production de recommandations séquentielles en fonction de l’évolution des connaissances sur l’épidémie et les vaccins et de la mise à disposition de ceux-ci. Elle a également produit un rapport préliminaire sur la stratégie de vaccination contre la Covid-19 comportant notamment l’anticipation des scénarios possibles de vaccination et des recommandations sur les populations cibles.

Dans la note de cadrage évoquée plus haut, la HAS a identifié, outre des enjeux de recherche, industriels et économiques, des enjeux sociétaux et éthiques susceptibles d’avoir un impact sur la stratégie vaccinale. Ils portent sur l’accès universel et équitable à la vaccination dans un contexte où la disponibilité progressive des doses de vaccin pourrait imposer des choix quant aux populations à vacciner en priorité, d’acceptabilité de la vaccination elle-même au sein des différentes populations, et d’organisation afin de définir avec les acteurs du système de santé susceptibles d’être mobilisés les clés d’une campagne de vaccination optimale.

Dans la perspective des avis à venir de la HAS quant à la vaccination contre la Covid-19, sa présidente a saisi le conseil pour l’engagement des usagers (CEU) afin qu’il formule ses recommandations quant à la prise en compte de ces enjeux et les conditions d’acceptabilité de la stratégie vaccinale.

Le CEU s’est réuni les 6 et 20 octobre 2020.  Il a entendu une communication du service d’évaluation économique et de santé publique (SEESP) comportant les éléments préliminaires disponibles et un point d’étape sur les travaux en cours.

Il relève un contexte marqué par :

  • des connaissances très évolutives, et parfois quelques zones d’incertitude ;
  • un développement accéléré des vaccins qui va conduire à leur mise à disposition séquentielle mais parfois à un rythme rapide, en fonction des résultats des essais et de la délivrance des autorisations de mise sur le marché.

Dans ce contexte, il formule l’avis dont les termes suivent.


I – Sur l’acceptabilité sociale

À partir des informations mises à sa disposition, de celles de ses membres et des échanges en son sein, le CEU considère que malgré les mesures d’acceptabilité, directes ou indirectes, peu d’études s’intéressent suffisamment aux déterminants de l’acceptabilité de la vaccination en population générale. Dans certaines situations, la mise à disposition d’une information publique transparente et loyale ne suffit d’ailleurs pas à faire évoluer la perception du bien-fondé de la vaccination, comme cela a été le cas pour la rougeole, par exemple.

Le CEU estime cependant que cette acceptabilité est évolutive notamment en fonction des actions de communication qui pourront être réalisées autour du vaccin contre la Covid-19 et des ajustements qu’elles nécessitent en fonction des objectifs de santé publique, de la disponibilité des vaccins, des facilités organisationnelles de recours à la vaccination et de l’analyse de l’opinion, notamment à partir des discours produits sur les réseaux sociaux, dans une épidémie qui a, par bien des aspects, pris une dimension polémique inédite au regard des autres épidémies saisonnières ou de risques récurrents.

En outre et compte-tenu de la succession d’avis à venir, au fil de l’arrivée des candidats-vaccins devant la HAS, le CEU estime que la mobilisation d’un groupe de citoyens sur la durée est utile afin de tirer les enseignements des expressions individuelles et collectives des usagers du système de santé à l’occasion des saisines dont la commission technique des vaccinations (CTV) sera l’objet. II observe qu’à plusieurs reprises la formulation des attentes et préférences des citoyens a été rappelée comme une dimension indispensable dans la gestion publique de la crise de la Covid-19, par l’avis du Comité consultatif national d’éthique, par le président du Conseil scientifique Covid-19 [1], la Conférence nationale de santé et de nombreuses expressions des associations d’usagers du système de santé [2].

Consciente de ce qu’un tel dispositif réclame en termes d’innovation de processus et de mobilisation de moyens, le CEU propose que, de façon expédiente, la composante « usagers » du CEU soit mobilisée à cet effet, sous réserve de l’analyse des déclarations publiques d’intérêts de ces membres. Il est ici rappelé que la composition du CEU est paritaire, comportant moitié de professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, d’une part, et moitié de citoyens venant d’associations agréées et non agréées mais aussi de personnes ayant une expérience personnelle d’usage des secteurs sanitaire, social et médico-social, d’autre part.

À suivre cette idée, les neufs membres du CEU s’exprimant en leur qualité d’usagers pourraient être consultés par la CTV en amont des séances de celle-ci, pour toute la période où elle sera saisie de la stratégie vaccinale contre la Covid-19 et des vaccins se succédant devant la HAS. Les travaux de la CTV sont structurés en quatre axes (épidémiologie, immunologie, développement des vaccins, mise en place de la campagne de vaccination). C’est plus particulièrement sur ce quatrième axe des travaux de la CTV que la composante « usagers » du CEU pourrait être mobilisée par la CTV. Dans cette perspective, le président du CEU pourrait assurer l’interface avec la présidente de la CTV afin de garantir l’implication de ce groupe ad hoc.

Cette expression de la composante « usagers » du CEU ne saurait avoir pour vocation ni de se substituer aux représentants des usagers siégeant à la CTV ni à l’expression des associations d’usagers sur cette question.

En tout état de cause, le CEU estime que plusieurs solutions, connues et pratiquées par la HAS, peuvent concourir, à côté de la constitution du groupe ad hoc évoqué plus haut, à parfaire les recommandations de la HAS sur la vaccination contre la Covid-19 :

  • la consultation des parties prenantes, notamment l’Union nationale des associations agréées de santé visée à l’article L. 1114-6 du code de la Santé publique, et, compte tenu de la portée de l’épidémie à laquelle nous sommes confrontés les associations des mouvements familiaux, de consommateurs, de personnes âgées et de personnes en situation de handicap ou de précarité sociale ;
  • la consultation publique quand la temporalité des avis s’y prête.

Le CEU considère qu’il relève de la responsabilité de la HAS de faire usage de ces processus au mieux en fonction du contexte d’urgence identifié au début du présent avis.


II – Sur les cibles prioritaires

Dans son rapport du 23 juillet 2020, la HAS a considéré que :

  • « dans tous les scénarios envisagés, les professionnels de santé et du médico-social de première ligne constitueront les cibles prioritaires incontournables de la vaccination répondant aux objectifs de prévention individuelle, collective et de maintien des activités essentielles du pays en période épidémique ;
  • par ailleurs, les personnes à risque de forme grave qui paient le plus lourd tribut en termes d’hospitalisation et de décès (personnes de plus 65 ans et celles présentant une co-morbidité) seront également visées prioritairement par la vaccination dès lors que le rapport bénéfice/risque favorable de celle-ci sera établi. »

Le CEU estime que :

  • l’établissement de la liste des personnes prioritaires doit être articulé, ainsi que le relève le rapport préliminaire du 23 juillet 2020, avec les objectifs de vaccination des personnes à risque de forme grave ; dans le contexte de vaccins arrivant successivement, la vaccination des proches des personnes à risque de forme grave et des personnes intervenant au domicile des personnes à risque de forme grave doit être envisagée le cas échéant au même niveau de priorité, en considération de la protection des aidants et intervenants à domicile indispensables au soutien des personnes à risque de forme grave ;
  • les documents relatifs à la stratégie vaccinale, spécialement quand ils concernent les publics prioritaires, pourraient être mis en lecture publique dans les conditions précitées avant leur approbation par la commission technique de la vaccination (CTV) puis adoption par le Collège de la HAS ;
  • parmi les personnes à risque de forme grave, cible dite prioritaire dans l’avis précité de la HAS, aucune personne ne saurait être exclue de l’accès à la vaccination en raison de ses difficultés à aller vers la vaccination ; plus particulièrement les personnes accueillies ou hébergées dans les établissements sociaux et médico-sociaux qui n’ont pas, pour nombre d’entre elles, vu le dépistage venir vers elles, doivent maintenant voir la vaccination disponible dans leurs lieux d’accueil ou d’hébergement, y compris si cela s’avère nécessaire, par des équipes mobiles diligentées par les agences régionales de santé ;
  • en tout état de cause, l’atteinte des objectifs de vaccination pour « les professionnels de santé et du médico-social », pour reprendre la formule de l’avis du 23 juillet 2020 de la HAS, pourrait constituer un exemple puissant pour la vaccination des autres populations cibles.


III – Sur la communication

Dans un pays où le scepticisme, voire le rejet, à l’égard de la vaccination reste fort, y compris chez certains professionnels de santé, d’une part, et où la parole d’experts scientifiques comme celle de responsables publics est questionnée, d’autre part, le CEU estime que :

  • la communication publique vers la population devrait insister sur les bénéfices individuels pour la personne elle-même, et collectifs, pour ses proches puis la société dans son ensemble, dans un contexte où les risques, même infondés ou inconnus, sont largement mis en avant par les courants prônant le renoncement à la vaccination [3] ;
  • la communication publique, autant que la communication en général, doit reposer sur l’engagement du citoyen dans une réflexion sur l’exercice de sa responsabilité par lui-même pour lui-même autant que pour ses proches et la société ;
  • la communication publique doit pouvoir justifier l’inclusion de telle cible comme l’exclusion de telle autre tant du point de vue de l’objectif de meilleure couverture vaccinale et doit expliquer l’arrivée et la disponibilité échelonnées dans le temps des solutions vaccinales ;
  • la communication publique doit pouvoir s’intégrer au sein des réseaux sociaux soit directement soit indirectement par des relais d’opinion ;
  • la communication publique doit être reprise sur les sites publics [4] lesquels devraient comporter un espace participatif modéré et une foire aux questions (FAQ) ainsi que la liste des différents acteurs pratiquant la vaccination ;
  • les associations d’usagers du système de santé, premières intéressées à la protection des personnes atteintes de maladies chroniques et pour certaines à risque de forme grave, doivent être mobilisées en vue de la conception et la mise en œuvre d’une information spécialement adaptée aux publics entrant dans leurs missions vocatives ;
  • les grands mouvements associatifs en population générale, comme le mouvement familial ou le mouvement sportif aux échelons populationnels importants doivent également être mobilisés, particulièrement sur l’enjeu de couverture vaccinale générale ;
  • l’information de toutes les personnes des différentes cibles et de la population générale doit être garantie, le cas échéant en ayant recours aux outils « Facile à lire et à comprendre » [5] (FALC) ou à toute ressource adaptée aux publics en situation de vulnérabilité sociale ;
  • que l’ensemble des acteurs évoqués plus haut voient mis à leur disposition les éléments de langage expliquant l’intérêt de la vaccination contre la Covid-19 afin qu’ils puissent répondre aux interrogations des personnes concernées et les inviter à s’engager dans la vaccination contre la Covid-19.


IV – Sur l’organisation de la vaccination 

Le CEU comprenant que les schémas vaccinaux pourront être différents selon les candidats-vaccins (nombre de doses, délai de rappel, condition de conservation des doses, etc.) et que des décisions à intervenir justifieront ou non le recours à une prescription médicale, souhaite que :

  • la vaccination « des professionnels de santé et du médico-social », pour reprendre la terminologie adoptée dans l’avis de la HAS du 23 juillet 2020 soit encouragée et soutenue, le cas échéant en mettant en exergue leur responsabilité dans la protection des populations dont elles ont la charge depuis le début de l’épidémie de Covid-19 ;
  • la plus grande facilitation d’accès à la vaccination soit retenue pour parvenir rapidement à la plus haute couverture vaccinale en vue de réduire la circulation du virus dans les populations cibles d’abord, en tenant compte des contraintes de ces populations, d’une part, et de la progression de la couverture vaccinale générale si les ressources le permettent, d’autre part ;
  • l’adhésion des populations cibles comme de la population générale le cas échéant soit, encore plus dans un contexte évolutif comme celui auquel on doit s’attendre dans la mise à disposition successive de plusieurs solutions vaccinales, être adossée aux outils d’aides à la décision partagée mises en exergue par une fiche méthodologique de la HAS et dont les professionnels de santé comme les associations doivent rapidement s’approprier les contenus, même dans un contexte évolutif ; pour certaines populations-cibles, cette adhésion peut nécessiter le recours aux programmes d’éducation thérapeutiques, aux actions d’accompagnement des patients et à toute autre action de promotion de la santé ;
  • la transparence sur la vaccination porte notamment sur les effets secondaires et les effets indésirables, en mobilisant les professionnels de santé en charge de la notification de ces effets sur la base d’outils simplifiés si l’on veut une approche exhaustive de ce recensement ; elle doit aussi porter sur l’état des stocks en fonction des arrivées graduées des différents vaccins, spécialement si la vaccination devait être recommandée en population générale, autant que, le cas échéant, les bases scientifiques justifiant la recommandation de tel vaccin pour tel groupe de population-cible ;
  • dans cet esprit de transparence, il soit rappelé que les particuliers peuvent s’engager à télédéclarer eux-mêmes les effets indésirables via le site signalement-sante.gouv.fr.


V – Sur la nécessité de conjuguer traçabilité de la vaccination et protection des données personnelles

La notification de la vaccination constitue un enjeu important du point de vue de la sécurité de la vaccination et de l’adéquation de tel vaccin en fonction des cibles identifiées. Elle est également essentielle du point de vue de l’effectivité de la mise en œuvre de la vaccination, notamment dans les cas de schémas à plusieurs doses où la relance en cas de non-présentation aux injections postérieures à l’injection initiale est déterminante en vue d’une protection complète.

Ainsi, le CEU considère que le recours à un outil électronique de traçabilité de la vaccination contenant le nom de la personne et un numéro de téléphone ou une adresse électronique paraît se justifier en cas de rappel nécessaire pour une question de sécurité ou d’effectivité de la vaccination, particulièrement au regard des effectifs populationnels envisagés par la vaccination contre la Covid-19.

En conclusion, le CEU attire l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de conduire des retours d’expérience sur la vaccination contre la Covid 19, dans l’esprit qu’il a indiqué dans son avis n° 2-2020 du 16 juillet 2020.

Tels sont les termes de l’avis adopté par le conseil pour l’engagement des usagers de la HAS, délibéré dans ses deux séances du 6 et 20 octobre 2020.


 

[1] Dans une note adressée au Premier ministre et rendue publique.

[2] Le Figaro, 21 septembre 2020 ; Le Monde, 25 septembre 2020 

[3] F. Salvadori et L-H Vignaud, « La résistance aux vaccins du XVIIIème à nos jours », Vendémiaire, Paris, 2019, 360 p.

[4] https://vaccination-info-service.fr/, https://ameli.fr  et https://sante.fr  

[5] La méthode « facile à lire et à comprendre » (FALC) a été élaborée dans le cadre du projet européen Pathways. Elle est portée en France par l’Unapei et l’association Nous Aussi. Elle propose des règles pour aider les rédacteurs de documents à rendre l’information facile à lire et à comprendre pour les personnes déficientes intellectuelles. L’objectif de la méthode consiste à rendre les personnes déficientes intellectuelles plus autonomes dans leurs démarches grâce à une meilleure compréhension de l’information.

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