L'effet tunnel en santé : comment faire pour en voir le bout ?
Contexte et enjeux
La base de retour d’expérience du dispositif d’accréditation collecte les évènements indésirables associés aux soins (EIAS) survenus lors de la pratique quotidienne des médecins et des équipes médicales engagés. Les enseignements qui en sont tirés se traduisent notamment par l’élaboration de solutions pour la sécurité des patients (SSP) permettant d’améliorer les pratiques, de réduire la survenue des évènements ou d’en atténuer les conséquences. Les SSP de type 3 sont des productions réalisées par la HAS en lien avec les organismes agréés pour l'accréditation.
Nous évoluons dans un environnement complexe, avec un grand nombre de données à intégrer et analyser, mais nous disposons de capacités cognitives limitées. C’est pourquoi nous utilisons au quotidien des raccourcis mentaux, qui nous permettent de prendre des décisions rapides et le plus souvent fiables. Ceux-ci nous sont indispensables mais peuvent parfois être source d’erreurs, s’ils sont utilisés dans la mauvaise situation : il s’agit alors de biais cognitifs, dont fait partie l'effet tunnel.
L'effet tunnel est défini ici comme toute situation dans laquelle l'attention du professionnel est tellement focalisée sur un objectif qu’il n’entend, ni ne voit des signaux d’alerte qui devraient l’amener à modifier son approche, voire à l’arrêter avant que ne survienne un EIAS.
Cette SSP a pour objectif de sensibiliser les professionnels de santé au phénomène d’effet tunnel et aux mécanismes cognitifs pouvant altérer le raisonnement et la prise de décision clinique, et à leur proposer des stratégies pratiques pour mieux s’en prémunir ou en minimiser les impacts.
Analyse
L’analyse approfondie de la base REX a retrouvé 76 EIAS en lien avec un effet tunnel, déclarés entre mai 2016 et juin 2021. Ces EIAS étaient toujours associés à d’autres biais cognitifs (4 en moyenne). Dans 28 cas, ces EIAS ont entraîné le décès du patient ou un préjudice sévère. La majorité d'entre eux (n = 71/76) ont pourtant été considérés comme évitables ou probablement évitables par le déclarant. Les mesures les plus efficaces pour lutter contre l'effet tunnel ont été une réévalaution de la situation avec un temps de pause par exemple, une demande d'avis auprès d'un confrère ou des échanges au sein de l'équipe.
Deux enquêtes de pratiques ont par ailleurs été menées en 2020 auprès de 1 880 chirurgiens orthopédistes et en 2021 auprès de 19 483 anesthésistes, chirurgiens et spécialistes interventionnels. Parmi les 2 961 répondants aux enquêtes, 61 % ont déjà vécu un effet tunnel (n = 1 891) et 63 % en ont déjà été témoin (n = 1 869).
Comment réduire les risques ?
Cette SSP propose une liste de solutions pour limiter la survenue et les conséquences d'un effet tunnel :
- sensibiliser au fonctionnement cognitif et à ses failles ;
- assurer un contexte organisationnel et humain favorable ;
- identifier les situations à risque ;
- mobiliser les outils disponibles (alarmes, check-lists, protocoles, etc.) ;
- mettre en pratique la métacognition (analyser son raisonnement), le slowing down (ralentir), faire un temps de pause ;
- appeler à l’aide si besoin (l’équipe ou un confrère).
Pour les professionnels souhaitant aller plus loin dans leur compréhension du sujet, un tableau des principaux biais cognitifs en santé et une courte note bibliographique reprenant les principaux concepts sur les mécanismes cognitifs ont été inclus dans le document.
Cette SSP s’adresse à tous les professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, qu'ils exercent en ville ou en établissement de santé.