Comment élaborer et mettre en oeuvre des protocoles pluriprofessionnels ?
Un protocole pluriprofessionnel traduit la volonté partagée d’associer des compétences médicales, soignantes, médico-sociales pour mieux prendre en charge une situation concernant une ou des maladie(s) aiguë(s) ou chronique(s). Il répond à un problème pluriprofessionnel identifié par une équipe, au sein d’une structure de soins ou sur un territoire. Il tient compte de l’expérience des patients et peut porter une attention particulière aux aidants naturels.
Points clés
Les protocoles pluriprofessionnels sont un support naturel du travail en équipe. Ils consolident un travail coordonné dès lors qu’ils :
- s’appuient sur l’expérience et les compétences des professionnels concernés,
- prennent en compte les données actualisées de la littérature,
- formalisent et harmonisent des pratiques existantes,
- proposent des voies de progrès, par de nouveaux services ou de nouveaux rôles,
- renforcent et sécurisent les soignants,
- sont aisément consultables lors des soins,
- conçoivent le soin et le « prendre soin » comme un seul soin,
- peuvent s’accompagner de valorisations financières et de ressources adaptées à leur usage,
- sont régulièrement actualisés à la lumière de retours d’expériences,
- s’inscrivent dans la démarche qualité des équipes de soins.
Ce qu’il faut faire
Étape 1. Préparer le protocole
Choisir une situation : un protocole doit répondre à un besoin explicite de l’équipe. Ce besoin peut être identifié via les réunions de concertation clinique, le suivi d’indicateurs, le projet de santé d’une MSP ou d’un territoire, les retours des patients, etc. Un protocole n’a pas vocation à traiter d’une situation clinique dans sa totalité, mais plutôt à concentrer l’attention sur le ou les points « critiques » de la prise en charge.
Informer du projet l'ensemble des professionnels concernés : l'équipe de soins primaires, les professionnels médico-sociaux et les spécialistes de second recours, quel que soit leur lieu d’exercice.
Former un groupe de travail de plusieurs professionnels pour élaborer le protocole. Ce groupe doit
comprendre des membres appartenant à toutes les professions concernées.
Étape 2. Elaborer le protocole
Analyser la pratique actuelle : chacun exprime ce qu’il fait habituellement pour la situation retenue et les informations dont il a besoin. Chaque fois que possible, mettre en valeur les relations déjà existantes entre les professionnels et s’appuyer sur elles pour accroître le nombre de professionnels engagés dans la dynamique.
Définir les objectifs : en confrontant les besoins identifiés à la pratique actuelle, au contexte local et aux éléments de bonne pratique collectés dans la littérature (sur ce point, l’équipe peut interroger le Centre de Ressources en soins primaires porté par la HAS, annexe 1). Lorsqu’il n’existe pas de preuves sur un aspect de la prise en charge, l’équipe peut adopter une position sur les meilleures pratiques possibles sur la base d’un consensus du groupe.
Concevoir le protocole : préciser les différentes étapes cliniques ou organisationnelles et leur chronologie, les périmètres d’action des différents professionnels, voire les évolutions cliniques attendues à chaque étape. Insister sur les éléments de coordination et d’aide à la décision. La méthode du Chemin Clinique peut être
utilisée pour décrire les procédures qui interviennent dans la prise en charge du patient.
Définir et élaborer les outils qui doivent être associés au protocole :
- Outils de repérage des patients et situations concernés par le protocole ;
- Description d’une procédure diagnostique ou thérapeutique ;
- Points de vigilance ;
- Aide à la tenue des réunions de concertation ;
- Plan Personnalisé de Santé ;
- Harmonisation des messages aux patients.
Formaliser le protocole : sous forme d'un document simple et court. Ce document doit pouvoir être facilement utilisable en cours de consultation ou de visite (focus 2). Rédiger une fiche d’identité du protocole (annexe 2), qui précise notamment la personne ressource / référent du protocole.
Vérifier que la législation ne fait pas obstacle au protocole : en particulier que les nouveaux rôles attribués à un professionnel ne sortent pas de son domaine de compétence. Dans ce cas, préparer un protocole de coopération du type « article 51 ».
Identifier la logistique et l’accompagnement nécessaires à la mise en œuvre : Quels sont les besoins des professionnels à cet effet ? Quels sont les supports à envisager : matériel de soins, intervention d’un coordinateur en appui pour la prise de rendez-vous, l’appel des patients au cours du suivi, etc. ?
Procéder à une large validation du protocole en s’assurant de l’accord de tous les professionnels concernés. Des associations de patients peuvent être impliquées dans cette phase de validation. Si cette validation fait apparaître des questions ou des divergences, il peut être utile de revoir certains éléments.
Étape 3. Mettre en œuvre et suivre le protocole
Diffuser le protocole. Le protocole doit être accessible à tous les professionnels concernés. Il est de la responsabilité de chaque équipe de choisir les protocoles qu’elle rend publics aux patients.
Documenter régulièrement les variations de la pratique par rapport au protocole. Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour cela (focus 3). Un protocole ne fige pas la pratique : il est de la responsabilité d’un professionnel d’en sortir s’il estime que le protocole ne s’applique pas à un patient. Dans ce cas, il l’inscrit dans le dossier en le justifiant, de telle sorte que les autres professionnels qui prennent en charge le patient en soient informés.
Recueillir les effets indésirables liés à l’utilisation du protocole : en utilisant par exemple un registre, une fiche dédiée, une analyse de dossiers pris au hasard.
Discuter et analyser en équipe pluriprofessionnelle les variations et les effets indésirables et
proposer des solutions pour y remédier : changement d’organisation, formations, modifications du protocole, etc.
Mettre à jour régulièrement le protocole, au moins annuellement, en fonction de l’expérience des professionnels et des patients, de l’évolution de l’état de la science, des recommandations ou de la réglementation. Au cours de cette mise à jour, le constat peut être fait d’une entrée dans la routine des pratiques promues par le protocole, réduisant l’intérêt de sa consultation par les membres de l’équipe. Dans ce cas, le protocole peut être archivé, en restant disponible pour les nouveaux membres de l’équipe.
Ce qu’il faut éviter
- Multiplier les protocoles sans référence à des situations ou besoins identifiés ;
- Multiplier les réunions : 3 réunions de 1h30 à 2h00 paraissent un maximum pour l’élaboration et la validation du protocole ;
- Maintenir un protocole non utilisé.
Conditions à réunir
- Débuter par l’élaboration de protocoles simples avec des objectifs facilement atteignables : cette expérience permet aux équipes de construire leur expertise de travail en commun ;
- Organiser des partages d’expériences entre équipes, communiquer sur les initiatives réussies ;
- Diffuser le protocole via un système d’information partagé ;
- Inscrire explicitement le protocole dans une démarche d’amélioration des pratiques ;
- Dégager les ressources nécessaires à la mise en œuvre du protocole (par exemple temps de coordonnateur administratif).
Ce qu’il faut savoir
Un protocole décrit qui fait quoi, quand, comment, pourquoi, pour qui et avec qui. Il peut prendre la forme d’un texte, d’un tableau, d’un logigramme, etc.
Il s’appuie à la fois sur des données scientifiques et sur l’expérience des professionnels. L’expérience des patients et des aidants naturels est également prise en compte.
Il est élaboré par une équipe, dans le cadre de son environnement de travail : l’équipe peut être déjà formalisée au niveau d’un établissement sanitaire ou médico-social ou d’une structure de soins primaires (Maison, Pôle ou Centre de Santé Pluridisciplinaire) ou se constituer ponctuellement autour d’un projet. Le protocole peut concerner les soins primaires comme secondaires, la ville comme les établissements, les secteurs sanitaires comme médico-sociaux ou sociaux. Certaines équipes pourront préférer se limiter au premier cercle de proximité avant d’intégrer d’autres professionnels, mais ceci peut limiter le périmètre d’utilisation du protocole.
Les raisons conduisant une équipe à élaborer un protocole peuvent être multiples : perception réitérée d’une situation complexe ou d’un risque important d’erreur, pluri-pathologies difficiles à gérer, multiplicité des intervenants sanitaires et sociaux, ruptures de continuité observées lors des transitions entre
niveaux et lieux de soins, besoin d’harmonisation des pratiques en raison de variations importantes dans les modes de prise en charge, hétérogénéité des informations transmises par les différents professionnels aux patients, etc.
Les protocoles peuvent être utilisés comme des checklists, des aide-mémoires, des aides à la prescription, des supports de formation ou encore comme des outils de dialogue et d’encouragement avec les patients.
Il a été montré, avec un niveau de certitude en général faible à modéré, que l’élaboration et la mise en œuvre de protocoles pluriprofessionnels :
- améliorent l’adhésion aux recommandations de bonne pratique et la qualité de la prise en charge des patients, par exemple en réduisant la durée moyenne de séjour et les complications pendant l’hospitalisation ;
- réduisent les variations de pratiques entre professionnels ;
- améliorent le climat de travail et l’organisation des équipes professionnelles, et réduisent le risque d’épuisement ;
- améliorent la qualité des informations recueillies dans les dossiers médicaux.
Ces études ont été menées pour l‘essentiel en milieu hospitalier, mais la perspective des protocoles pluriprofessionnels est ouverte en soins ambulatoires en raison de l’évolution d’un exercice traditionnel "individuel" vers un mode "d'équipe pluriprofessionnelle" déjà acquis en établissement de santé.
Des effets positifs ont été décrits pour une variété de pathologies aiguës ou chroniques, comme la prise en charge des thromboses veineuses, des pneumonies, de certains actes de chirurgie orthopédique ou digestive, de l’HTA, de la dépression, de l’asthme et du diabète en milieu hospitalier et en médecine générale, etc. Il a également été montré que les protocoles pluriprofessionnels pouvaient réduire la mortalité intra-hospitalière des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque (niveau de certitude modéré).
Les protocoles pluriprofessionnels sont plus efficaces lorsqu’ils portent sur des parcours prévisibles, lorsqu’existent des déficits de coopération et de prise en charge ou que les professionnels expérimentent de nouveaux rôles. Ils ont plus de chance de changer les pratiques cliniques lorsqu’ils ont été développés de façon concertée par les membres d’une équipe, en élaborant leurs propres règles.
Le contexte d’application des protocoles influe sur leur degré d’utilisation et conditionne donc leur efficacité. Un protocole a plus de chance d’être utilisé dans une équipe réellement pluriprofessionnelle où les tâches sont partagées entre médecins et autres soignants, ouverte à de nouveaux professionnels et expérimentant de nouveaux services (focus 3). Les professionnels peuvent cependant percevoir des risques à l’utilisation des protocoles (annexe 3).
L’impact économique des protocoles pluriprofessionnels n’a pas été évalué. Il faut être attentif à ce que leur coût d’élaboration et de mise en œuvre soit justifié par les bénéfices attendus.
Critères de suivi proposés
- Nombre de personnes prises en charge selon le protocole / nombre de personnes concernées ;
- Effets indésirables liés à l’utilisation du protocole ;
- Evolution des résultats des soins selon des critères cliniques ou biologiques ;
- Satisfaction des professionnels et des patients.
Exemples de réalisations ou de projets en cours
FFMPS : En juin 2012, la FFMPS a sollicité les équipes des MSP pour qu’elles adressent à la HAS des exemples de protocoles pluriprofessionnels qu’elles mettent en place. Huit équipes ont adressé 64 documents. Ces documents se présentaient sous la forme de :
- mémos (16) : document court de 0,5 à 1 page correspondant à une liste d’items à évoquer en cours de consultation concernant la caractérisation d’un état ou une prescription ;
- aide-mémoires (15) : document plus long que le précédent donnant une vision globale synthétique d’une pathologie ou d’une situation clinique en ciblant les éléments importants pour la pratique en cours de consultation ;
- protocoles pluriprofessionnels (25) : document de 0,5 à 7 pages décrivant qui fait quoi, quand, pour une situation donnée.
- Les thèmes communs à plusieurs MSP étaient : Gestion des AVK (5 MSP), Vaccinations (4 MSP), Arythmie cardiaque (2 MSP), BPCO (2 MSP), Diabète (2 MSP), Plaies (2 MSP), Classeur de liaison à domicile (2 MSP).
Le Réseau Sphères a développé à Paris des protocoles pluriprofessionnels pour la prise en charge des situations de crise en ambulatoire en alternative à des hospitalisations évitables. Les protocoles sont élaborés par un comité scientifique local à partir des données validées de la science et sont rédigés sur une feuille A4. Le réseau fournit une logistique pour le suivi des patients, et utilise pour cela un système informatique. Les thèmes actuels des protocoles sont : la prise en charge de la pneumonie aiguë communautaire, la thrombophlébite profonde, les infections urinaires fébriles, la douleur thoracique, l’accident ischémique transitoire. L’évaluation médico-économique du Réseau Sphères a fait l’objet de deux thèses de médecine générale et d’un travail de la CNAMTS qui ont montré une diminution significative des hospitalisations évitables. Réseau Sphères 10 rue Ledion 75014 Paris T 0953100296 amospheres@mac.com
Associations des Pôles et Maisons de Santé Libéraux (APMSL): l’association APMSL Pays de la Loire a développé un guide d’accompagnement à l’élaboration d’un protocole pluriprofessionnel en maison de santé. Ce guide a été rédigé par l’équipe pluriprofessionnelle du Conseil d’administration en réponse aux attentes méthodologiques des équipes des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Il comprend une proposition de méthode d’élaboration d’un protocole, une fiche d’identité, des points de vigilance, des sources documentaires, etc. Il a été validé par un comité de lecture de représentants de MSP. Association des Pôles et Maisons de Santé Libéraux 44230 Saint-Sébastien-sur-Loire. Tel : 06 42 54 56 48 / 02 28 21 97 35 apmsl.pdl@orange.fr
Focus 1. Moyens de rendre accessibles les protocoles en consultation
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Focus 2. Modalités de documentation des écarts au protocole
Suivi d’indicateurs construits sur des éléments renseignés dans le dossier du patient au cours de la pratique habituelle : biologie, prescriptions, rendez-vous, données cliniques critiques, etc. Recueil d’informations portant sur les 5 à 20 derniers patients concernés par le protocole Interrogation des professionnels de santé sur leur utilisation du protocole à propos du dernier ou des deux derniers patients concernés Organisation d’une réunion de retours d’expériences de l’équipe sur son utilisation du protocole
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Focus 3. Facteurs favorisant l’utilisation des protocoles pluriprofessionnels
Facteurs liés à leur développement
Facteurs liés à leur contenu
Facteurs liés à leur contexte d’utilisation
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Annexe 1. Centre de Ressources de la HAS
En l’absence de recommandations françaises récentes, il n’est pas toujours aisé pour des professionnels de santé peu habitués à la recherche bibliographique de trouver les éléments de bonne pratique fondés sur les preuves.
Aussi, un projet pilote de centre de Ressources en soins primaires a été mis en place depuis septembre 2013 pour aider les équipes de terrain à élaborer un protocole pluriprofessionnel. Dans ce cadre, le Centre de Ressources (CdR) apporte les éléments de bonne pratique fondés sur les preuves, « les briques », qui participent à la construction de ce protocole.
Les partenaires professionnels (URPS, Fédération régionale des Maisons et Pôles de Santé Pluriprofessionnels, Union Nationale des Réseaux de santé) peuvent assurer un accompagnement des équipes pour l’élaboration de leur protocole. Dans ce cadre, ils :
- Informent et mobilisent les équipes ;
- Aident les équipes à formuler leurs questions en regard des objectifs et des méthodes du CdR ;
- Organisent le lien avec le CdR ;
- Accompagnent les équipes dans l’élaboration ou l’appropriation de protocoles ;
- Organisent des retours et des partages d’expérience en vue à la fois de faciliter les démarches professionnelles et d’évaluer la pertinence du dispositif.
centrederessources@has-sante.fr
Annexe 2 : Exemple de fiche d’identité d’un protocole
Adapté du modèle de l’APMSL Pays de la Loire
Date de création |
mm/AA |
Date de modification |
nm/AA |
Structure porteuse du protocole |
MSP, Pôle de santé, etc. |
Titre du protocole |
|
Référent (personne-ressource) |
Nom et adresse mail |
Liste des professions ou services et structures impliqués dans la prise en charge |
Dans et hors de la structure porteuse |
Objectif général |
Ce que veut changer le protocole ou le nouveau service apporté |
Objectifs secondaires |
Les autres aspects auxquels touche le protocole |
Population cible |
Public concerné |
Evaluation |
Critères permettant d’évaluer l’atteinte des objectifs |
Liste des documents associés |
Outils facilitant la mise en œuvre du protocole |
Liste des sources documentaires ou références |
La ou les recommandations sur lesquelles repose le protocole. Sinon, indication d’un consensus d’équipe. |
Lieu de consultation du protocole |
Classeur, fichier informatique, smartphone, etc. |
Liste des professionnels adhérant au protocole |
Peut renvoyer à un listing informatisé |
Liste des professionnels ou structures informés du protocole |
Peut renvoyer à un listing informatisé |
Groupe de travail (GT) |
Nom des participants au GT ayant élaboré le protocole |
Mode de validation du protocole |
Comité ou réunion de validation |
Date prévue d’actualisation |
mm/AA |
Annexe 3. Risques liés à l’utilisation des protocoles
Risques |
Prévention |
Absence de suivi du protocole |
Rendre le protocole facilement accessible et visible au moment des soins. Prévoir une valorisation financière. Attention : le suivi des principes du protocole peut être implicite. |
Appauvrissement de la relation avec les patients en raison de la standardisation des pratiques. |
Le suivi d’un protocole ne change pas la relation médecin-patient sous réserve d’être ajusté à la situation du patient (accord professionnel). Les protocoles peuvent être utilisés comme des outils de dialogue avec les patients. |
Clarification du rôle de chaque professionnel plutôt que promotion du travail en équipe. |
Prévoir des temps de concertation et de coordination dans le protocole. |
Remise en cause des frontières de compétences et des responsabilités existantes. |
Souligner les bénéfices attendus d’une responsabilité partagée entre professionnels vis-à-vis des risques de rupture dans le parcours des patients. |
Donner un sentiment trompeur de sécurité. |
Favoriser la possibilité d’échanges entre professionnels en cas de doute. |