Prise en charge de l'urticaire chronique
L'objectif de cette conférence de consensus est de répondre aux six questions suivantes, posées au jury :
- Quelles sont les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique permettant d’orienter le diagnostic étiologique d’une urticaire chronique ?
- Devant une urticaire chronique, quel bilan paraclinique minimal faut-il effectuer ? Chez quels malades faut-il faire un bilan plus complet et lequel ?
- Quand faut-il faire des examens allergologiques et lesquels ?
- Dans quelles circonstances la mise en évidence d’une étiologie a-t-elle un retentissement sur la prise en charge thérapeutique et l’évolution de l’urticaire chronique ?
- Quelles sont les modalités thérapeutiques proposées aux patients présentant une urticaire chronique idiopathique résistante à un traitement antihistaminique en monothérapie ?
- Quand faut-il envisager la prise en charge des facteurs psychologiques et selon quelles modalités ?
Introduction
L’urticaire est l’une des affections dermatologiques les plus fréquentes : 15 à 20 % de la population fait au moins une poussée aiguë au cours de sa vie, motivant 1 à 2 % des consultations de dermatologie et d’allergologie. L’urticaire chronique est définie par la persistance des lésions au delà de 6 semaines, celles-ci pouvant durer pendant des années, en moyenne 3 à 5 ans. Quarante pour cent des urticaires persistant plus de 6 mois sont toujours présentes 10 ans plus tard et 20 % le sont toujours après 20 ans d’évolution.
L’urticaire chronique est parfois grave lorsqu’elle s’associe à un angio-oedème avec atteinte laryngo-pharyngée ou digestive. Le retentissement psychologique et en particulier socioprofessionnel est souvent important, pouvant altérer la qualité de vie et générer une angoisse chez de nombreux patients.
Les étiologies classiquement répertoriées dans les traités sont multiples, incitant parfois à la réalisation de bilans exhaustifs et coûteux, ce d’autant que la demande des patients pour « trouver la cause » de leur maladie est souvent pressante. Pour autant, la «rentabilité diagnostique » de ces bilans étiologiques est décevante, laissant parfois le médecin frustré et le patient souvent désemparé.
Les classiques traitements antihistaminiques ne sont pas toujours efficaces, incitant alors les malades à réclamer la répétition ou l’élargissement du bilan étiologique, et posant au médecin le problème du choix de la meilleure stratégie diagnostique et thérapeutique à adopter.
Les buts de cette conférence de consensus sur la prise en charge de l’urticaire chronique ont été : de rappeler les données essentielles fournies par l’interrogatoire et l’examen clinique dans le diagnostic étiologique des urticaires chroniques, de proposer une stratégie d’examens complémentaires adaptés et une prise en charge thérapeutique cohérente prenant en compte, lorsque cela est nécessaire, d’éventuels facteurs psychologiques.
Les recommandations proposées par le jury ont été classées en grades A, B, ou C en fonction du niveau de preuve scientifique fourni par la littérature (tableau 1). Celles pour lesquelles le grade n’est pas mentionné explicitement dans le texte doivent être considérées comme des recommandations reposant sur un consensus au sein du jury. Le niveau de preuve scientifique fournie par l’analyse de la littérature était malheureusement souvent faible. Dans ces cas, le jury a également tenu compte des pratiques professionnelles en tentant de faire des propositions empreintes de bon sens.
Tableau I. Grade des recommandations dans les cas des études thérapeutiques
Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature | Grade des recommandations |
Niveau 1
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A
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Niveau 2
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B
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Niveau 3
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C
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Niveau 4
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Question 1 - Quelles sont les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique permettant d’orienter le diagnostic étiologique d’une urticaire chronique ?
L’urticaire se caractérise par l’apparition de papules mobiles, fugaces (d’une durée habituellement inférieure à 24 heures) et prurigineuses. Lorsque l’oedème atteint la partie profonde du derme ou l’hypoderme, les lésions prennent l’aspect de tuméfactions fermes, pâles, plus douloureuses que prurigineuses, pouvant persister 48 heures à 72 heures. Il s’agit alors d’une urticaire profonde, encore appelée angio-oedème. Près de 50 % des malades présentent l’association de ces deux formes d’urticaire.
L’urticaire est chronique lorsque l’éruption persiste plus de 6 semaines (sur un mode permanent ou récidivant).
Le diagnostic étiologique des urticaires chroniques repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique.
Interrogatoire
L’anamnèse précise :
- la chronologie ;
- les antécédents familiaux et personnels (atopie, urticaire, maladie générale) ;
- les prises médicamenteuses chroniques (inhibiteurs de l’enzyme de conversion – IEC), sartans, aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens - AINS), et occasionnelles (codéine et morphiniques) ;
- les habitudes alimentaires (surconsommation d’aliments histaminolibérateurs) ;
- la notion d’urticaire de contact (latex notamment) et les professions exposées ;
- les circonstances déclenchantes d’une urticaire physique (effort, frottement, pression, chaleur, froid, eau, exposition solaire, vibrations) ;
- le rôle du « stress » en tant que facteur aggravant ;
- les signes d’accompagnement évoquant une maladie générale.
L’urticaire chronique chez l’enfant est exceptionnelle et présente peu de particularités.
Examen clinique
- Examen dermatologique : certaines localisations sont d’emblée évocatrices d’une étiologie :
- dermographisme (lésions linéaires reproduites par le grattage) ;
- urticaire retardée à la pression (urticaire profonde des zones d’appui provoquée par la pression) ;
- urticaire cholinergique (exposition à la chaleur, à l’effort ou une émotion, de durée brève) ;
- angio-oedème du visage (cause alimentaire chez l’enfant, et médicamenteuse chez l’adulte).
Chez le petit enfant l’aspect est volontiers ecchymotique.
Il existe des formes atypiques chez l’adulte : annulaire, micropapuleuse ou purpurique.
Une éruption fixe, de durée supérieure à 24 heures, peu prurigineuse évoque une urticaire par vasculite.
Il faut différencier l’urticaire chronique de l’érythème polymorphe (enfant), de la mastocytose et de la pemphigoïde au stade prébulleux.
- Examen général : il doit être complet, plus particulièrement orienté vers une maladie autoimmune chez l’adulte.
- Tests à réaliser en cas de suspicion d’urticaire physique : chaque forme d’urticaire physique est authentifiée par des tests adaptés :
- le dermographisme. Le test diagnostique est effectué avec une simple pointe mousse sur un trajet d’environ 10 cm ;
- l’urticaire cholinergique ou urticaire réflexe à la chaleur. Les tests de provocation consistent en un exercice physique avec sudation ;
- les urticaires au froid. Le test de provocation repose sur le test au glaçon appliqué sur l’avant-bras dans un sac plastique pendant 20 minutes. En cas de négativité, il faut réaliser un test à l’immersion de l’avant-bras à 5-10 °C pendant 10 à 15 minutes ;
- l’urticaire retardée à la pression. Le diagnostic est confirmé par l’application de poids de 2,5 à 7 kg pendant 20 minutes (sur au moins 2 zones différentes, épaules et cuisses par exemple avec lectures échelonnées de 30 minutes à 24 heures) ;
- l’urticaire de contact au chaud. Elle est reproduite par l’application sur l’avant-bras d’un tube en verre contenant de l’eau chaude (38 °C et 50 °C pendant 1 à 5 minutes). La réaction est immédiate sauf dans les formes familiales ;
- l’urticaire solaire. Les lésions sont reproduites par la lumière solaire ou un simulateur solaire ;
- l’urticaire aquagénique. Le test de provocation consiste en l’application dans le dos d’une compresse humide à 37 °C pendant 20 à 30 minutes ;
- l’angio-oedème vibratoire. Les lésions sont reproduites par un appareil vibratoire.
Certains de ces tests ne sont pas dénués de risque et doivent être réalisés dans des conditions de sécurité optimale pour le patient.
Question 2 - Devant une urticaire chronique, quel bilan paraclinique minimal faut-il effectuer ?
Chez quels malades faut-il faire un bilan plus complet et lequel ?
L’abord étiologique des urticaires chroniques peut être envisagé sous trois angles :
- la fréquence des pathologies réputées associées à l’urticaire chronique, en étudiant le niveau de preuve méthodologique des séries publiées ;
- les maladies associées dont le diagnostic a éventuellement un impact sur le traitement de l’urticaire (cf. question 4) ;
- les affections sous-jacentes dépistées à l’occasion du bilan de l’urticaire chronique.
L’analyse de la littérature concernant les infections bactériennes ne montre pas d’association entre « foyer infectieux local » et urticaire chronique. Il n’y a pas lieu de rechercher systématiquement une infection dentaire ou sinusienne.
Les explorations à la recherche d’une infection par Helicobacter pylori ne paraissent pas justifiées en l’absence de symptomatologie digestive évocatrice (grade B).
Parmi les parasitoses, seule l’infection à Toxocara canis semble, d’après une seule étude de la littérature, associée à l’existence d’une urticaire chronique.
Aucune association significative entre une infection virale et la survenue d’une urticaire chronique n’a été démontrée.
L’imputabilité d’une allergie alimentaire vraie paraît exceptionnelle dans l’urticaire chronique, au contraire de l’urticaire aiguë, et n’indique donc pas d’examen complémentaire spécifique (grade B). Parmi les pathologies auto-immunes, la seule association significative concerne la présence des auto-anticorps (AC) de la thyroïdite auto-immune (AC antithyroperoxydase et/ou antithyroglobuline).
Le résultat de la biopsie d’une urticaire chronique « banale » isolée sans autre lésion cutanée associée ni symptôme extracutané n’a pas de valeur d’orientation étiologique en faveur ou en défaveur d’une maladie systémique.
D’une manière générale, la rentabilité des différents panels d’exa mens complémentaires proposés dans la littérature pour le diagnostic étiologique des urticaires chroniques est faible.
Devant un patient atteint d’urticaire chronique, le jury propose d’orienter le bilan paraclinique en fonction des données fournies par l’ interrogatoire et l’examen clinique en distinguant deux situations différentes (figure 1).
Patient présentant une urticaire chronique banale isolée sans signes cliniques d’orientation étiologique
Le jury propose de n’effectuer aucun examen complémentaire systématique d’emblée (grade B).
En première intention, il semble licite de proposer un traitement antihistaminique anti-H1 pendant 4 à 8 semaines.
Après cette période de traitement initial et seulement chez les patients considérés comme résistants à ce traitement, un bilan minimal d’orientation comprenant : numération-formule sanguine (NFS), vitesse de sédimentation (VS), dosage de la C reactive protein, recherche d’AC antithyroperoxydase (et en cas de positivité, dosage de la TSH) est proposé (grade B).
Le jury n’a pas proposé d’inclure la sérologie de la toxocarose, ni le dosage du complément ou la recherche de facteurs antinucléaires dans ce bilan paraclinique minimal, et propose de ne les réaliser qu’en cas de syndrome inflammatoire, d’anomalie de la NFS, ou s’il apparaissait secondairement des signes cliniques d’orientation étiologique.
Patient présentant des signes cliniques suggérant une orientation étiologique
Certains examens seront demandés d’emblée en fonction des orientations diagnostiques suggérées par les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique :
- urticaire au froid : cryoglobulinémie, cryofibrinogénémie, immunoglobuline monoclonale, agglutinines froides ;
- urticaire solaire : phototests standardisés ;
- angio-oedèmes chroniques ou récid ivants isolés, sans lésion superficielle : recherche d’un déficit en inhibiteur de la C1 estérase. Angio-oedème chronique localisé de la face inexpliqué (absence de prise d’IEC, sartans, aspirine ou AINS) : panoramique dentaire, scanner des sinus ;
- urticaire «atypique » (urticaire fixe, peu prurigineuse) ou association à d’autres signes cutanés (livedo, nodules, purpura, etc.) : biopsie cutanée ;
- dysthyroïdie clinique : dosage de la TSH, AC antithyroglobuline, antithyroperoxydase voire antirécepteurs de la TSH;
- en cas de signes extracutanés orientant vers une maladie systémique, les examens paracliniques demandés seront fonction des signes d’appel trouvés par l’interrogatoire ou l’examen physique.
Question 3 - Quand faut-il faire des examens allergologiques et lesquels ?
En matière d’urticaire chronique, les étiologies allergiques sont largement surestimées. Le jury considère que la place des investigations allergologiques est réduite. Leur réalisation repose sur une démarche rigoureuse.
Il est essentiel de différencier « l’allergie alimentaire » de mécanisme immunologique, qui est très rare, et « l’intolérance alimentaire », qui est plus fréquente et le plus souvent liée à une surconsommation en amines biogènes (cf. question 1). Cette intolérance alimentaire est encore dénommée « fausse allergie alimentaire ».
Quand ?
L’interrogatoire minutieux oriente les investigations allergologiques. Certaines manifestations sont évocatrices comme des troubles dyspeptiques postprandiaux suggérant une fausse allergie alimentaire, une urticaire localisée de contact ou des épisodes d’angio-oedèmes récidivants du visage chez l’enfant suggérant une allergie alimentaire vraie.
Les investigations allergologiques sont limitées à la recherche d’une allergie ou d’une intolérance alimentaire et d’une urticaire de contact.
Quel bilan ?
- Investigations inutiles :
- pneumallergènes : il n’y a pas lieu de rechercher une sensibilisation aux pneumallergènes au cours de l’urticaire chronique isolée (grade B) ;
- additifs, conservateurs, contaminants : le rôle des conservateurs, des additifs et des contaminants (nickel en particulier) dans la genèse des urticaires chroniques est actuellement limité à des situations particulières (consommation excessive d’un seul agent, additif ou conservateur, ce qui est un cas très rare en pratique) ;
- arômes : les arômes (naturels et artificiels) sont de plus en plus présents dans l’alimentation mais l’ignorance de la formule chimique de la majorité d’entre eux rend les explorations impossibles ;
- médicaments : le mécanisme pharmacologique des urticaires chroniques ou récidivantes et de l’angio-oedème médicamenteux n’est pas immunologique. Les explorations allergologiques ne sont donc pas indiquées (grade B).
- Investigations orientées utiles :
- fausse allergie alimentaire et allergie alimentaire vraie : la fausse allergie alimentaire constitue la cause la plus fréquente d’urticaire chronique liée à l’ingestion d’aliments. Elle est souvent considérée comme un facteur aggravant non spécifique de l’urticaire chronique. Les amines biogènes (histamine, tyramine) ou l’hyperconsommation d’un aliment (lait, blé) entraînant une colopathie de fermentation sont en cause (cf. question 1). Certains médicaments (aspirine et AINS) et l’alcool majorent la perméabilité intestinale, fa vorisant indirectement une histaminolibération source d’urticaire chronique.
Le préalable indispensable à toute exploration allergologique alimentaire est l’analyse du carnet alimentaire sur 7 jours comportant le recueil de toutes les étiquettes et des données simples évaluables comme l’extension des lésions, l’importance du prurit, et les prises d’antihistaminiques anti-H1.
Leur consommation excessive conduit à une éviction de ces aliments sur une période d’au moins 3 semaines. Le diagnostic de fausse allergie alimentaire est retenu sur la nette amélioration de l’urticaire, voire sa guérison, après mise en oeuvre d’un régime d’éviction. Les autres explorations allergologiques n’ont aucune utilité dans le cadre d’une fausse allergie alimentaire (grade B).
La suspicion d’une allergie alimentaire vraie (par exemple allergènes masqués comme l’arachide et le sésame) repose sur une recherche de sensibilisation IgE-dépendante aux aliments par des tests cutanés plus fiables que les tests biologiques. Cette étape requiert une compétence médicale spécialisée. Une suspicion de sensibilisation à un aliment nécessite une éviction de 3 semaines. Cependant, l’amélioration éventuellement observée après un régime d’éviction n’autorise pas un diagnostic de certitude. Seul le test de provocation par voie orale permet d’affirmer l’allergie alimentaire vraie. Il est impérativement réalisé dans des structures hautement spécialisées capables de prendre en charge un choc anaphylactique. - urticaire de contact : l’exploration d’une urticaire de contact, orientée par l’interrogatoire, repose sur la pratique de tests épicutanés, de tests ouverts (application directe sur la peau sans utilisation de cupule) avec une lecture immédiate, et surtout, de prick-tests. En cas de négativité, un test d'application répétée peut éventuellement être tenté.
- fausse allergie alimentaire et allergie alimentaire vraie : la fausse allergie alimentaire constitue la cause la plus fréquente d’urticaire chronique liée à l’ingestion d’aliments. Elle est souvent considérée comme un facteur aggravant non spécifique de l’urticaire chronique. Les amines biogènes (histamine, tyramine) ou l’hyperconsommation d’un aliment (lait, blé) entraînant une colopathie de fermentation sont en cause (cf. question 1). Certains médicaments (aspirine et AINS) et l’alcool majorent la perméabilité intestinale, fa vorisant indirectement une histaminolibération source d’urticaire chronique.
Question 4 - Dans quelles circonstances la mise en évidence d’une étiologie a-t-elle un retentissement sur la prise en charge thérapeutique et l’évolution de l’urticaire chronique ?
L’un des principaux intérêts du bilan étiologique est de mettre en évidence certaines causes dont le traitement influera sur la prise en charge de l’urticaire chronique.
Urticaire chronique physique
Le diagnostic d'une urticaire chronique physique a un impact sur la prise en charge thérapeutique car certaines situations déclenchantes peuvent parfois être évitées (cf. question 1). Les traitements antihistaminiques anti-H1 de seconde génération font cependant l'objet d'un accord professionnel fort dans cette indication.
Urticaire chronique de contact
L'éviction des allergènes en cause se justifie chez les patients atteints d’urticaire allergique de contact.
Urticaire chronique et médicaments
Les médicaments interviennent le plus souvent comme facteurs d’aggravation des urticaires chroniques.
Certaines substances histaminolibératrices (opiacés, codéine, curares, bêta-lactamines, vancomycine, produits de contraste iodés, atropine, pentamidine, polymyxine B, macromolécules de type Dextran) sont susceptibles d'aggraver une urticaire chronique, le plus souvent en entraînant des poussées d’urticaire aiguë ou d’angio-oedème. Certains de ces produits (bêtalactamines, curares) sont par ailleurs responsables d’urticaire aiguë par le biais d’une allergie vraie médiée par les IgE.
D'après les données de la littérature, 25 à 55 % des urticaires chroniques seraient aggravées voire déclenchées par l’aspirine ou les AINS, par un mécanisme non allergique.
Les IEC entraînent des angio-oedèmes de topographie essentiellement faciale, survenant généralement dans les 3 premières semaines de leur utilisation, mais parfois aussi après plusieurs mois ou années de traitement. Chez ces malades, le recours aux sartans (inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine II) fait courir un risque de récid ive d’angiooedème dans 30 % des cas. L'aspirine et les AINS peuvent également être responsables d’angiooedèmes récidivants.
En pratique, l’identification et l’éviction des médicaments aggravant l’urticaire chronique se justifient dans tous les cas. Un antécédent d’angio-oedème est une contre-indication aux IEC. La survenue d’un angio-oedème sous IEC impose l’arrêt du médicament, et le recours à une autre classe médicamenteuse, si possible différente des sartans. Par contre, la présence (ou des antécédents) d’urticaire chronique (en dehors des angio-oedèmes) n’est pas une contre- indication à l’utilisation des IEC.
Urticaire chronique et alimentation
La fausse allergie alimentaire par surconsommation d’aliments riches en histamine ou d’aliments histaminolibérateur s constitue la cause la plus fréquente d’urticaire chronique liée à l’ingestion d’aliments (cf. question 3). Elle est considérée comme un facteur aggravant non spécifique de l’urticaire chronique. Lorsqu’une fausse allergie alimentaire est suspectée, l’éviction des aliments riches en amines biogènes est recommandée (cf. question 3).
La mise en évidence d’une allergie alimentaire aux additifs, conservateurs et arômes est très difficile en pratique. Un régime d’éviction correspondant à ces substances n’est que rarement indiqué.
La mise en évidence d’une allergie alimentaire vraie (par exemple à des antigènes masqués) est exceptionnelle et nécessite un régime d’éviction après avoir affirmé le diagnostic par un test de provocation par voie orale.
Urticaire et infections
Il n’y a pas à ce jour d’infection associée à l’urticaire chronique dont le traitement ait une efficacité solidement démontrée sur l’évolution de l’urticaire chronique.
Urticaire et maladies générales
- Thyroïdites auto-immunes : la fréquence des thyroïdites auto-immunes est significativement plus importante chez les patients présentant une urticaire chronique. L’impact du traitement par L-thyroxine sur l’évolution de l’urticaire chronique associée n’est pas démontré. Lorsque la TSH est normale, le jury ne recommande pas d’utiliser une opothérapie par L-thyroxine dans l’unique but de traiter l’urticaire chronique associée (grade C).
- Autres maladies générales : la mise en évidence d’une maladie générale (vascularite systémique, maladie auto-immune, cancer, etc.) est rare voire exceptionnelle au cours d’une urticaire chronique, et l’évolution des lésions d’urticaire n’est pas toujours parallèle au traitement de la maladie associée.
Cas particulier de l’enfant
Les urticaires chroniques infantiles syndromiques (syndrome CINCA, syndrome hyper-IgD, syndrome de Mückle-Wells, maladie de Still, etc.) nécessitent une prise en charge spécialisée.
Question 5 - Quelles sont les modalités thérapeutiques proposées aux patients présentant une urticaire chronique idiopathique résistante à un traitement antihistaminique en monothérapie ?
Définition de la résistance
Les antihistaminiques anti-H1 de seconde génération constituent le traitement de choix de l'urticaire chronique (grade A) et permettent de contrôler la maladie dans la grande majorité des cas. Il n’existe pas d’éléments dans la littérature permettant de privilégier une molécule donnée.
Le jury considère qu’un traitement bien conduit doit comporter les caractéristiques suivantes :
- une posologie qui doit être celle de l’AMM ;
- un traitement continu ;
- une bonne observance ;
- une réévaluation régulière du traitement (tous les 3 mois par exemple) ;
- un arrêt, éventuellement progressif, après rémission complète et durable des lésions.
La résistance à un traitement antihistaminique anti-H1 ne s’envisage en général qu’après 4 à 8 l’évolution vers la rémission spontanée est possible.
Le jury considère qu’en l’absence de rémission complète, les seuls critères de jugement suivants sont à prendre en compte pour envisager un changement de traitement :
- retentissement sur la qualité de vie ;
- importance du prurit ;
- extension des lésions, poussées d’angio-oedème.
À ce stade, le jury propose de reprendre l’interrogatoire et l’examen clinique à la recherche :
- d’une mauvaise observance ;
- de facteurs déclenchants ou aggravants curables : médicamenteux, alimentaires, psychologiques ;
- de signes associés orientant vers une urticaire symptomatique conduisant alors à un bilan orienté (cf. question 3).
Le jury conseille également de réaliser, même si l’urticaire reste cliniquement « isolée », les examens biologiques suivants : NFS, VS, dosage de la CRP et des AC antithyroperoxydase.
Stratégie thérapeutique des urticaires chroniques résistant à un traitement antihistaminique anti-H1 de seconde génération en monothérapie
- Stratégie initiale : le jury considère que les antihistaminiques anti-H1 demeurent le traitement exclusif. Les deux recommandations suivantes proposées par le jury sont le reflet des pratiques professionnelles et des avis d’experts. Aucune donnée dans la littérature ne permet de privilégier une stratégie thérapeutique par rapport à l’autre :
- monothérapie : remplacement de l’antihistaminique anti-H1 de seconde génération par une autre molécule de cette classe ;
- bithérapie : l’association la plus fréquemment réalisée est celle d’un antihistaminique anti- H1 de seconde génération le matin, à un antihistaminique anti-H1 de première génération à action sédative en prise vespérale, principalement en cas de prurit et de troubles du sommeil.
L’évaluation de l’efficacité de la stratégie retenue sera faite après 4 à 8 semaines de traitement. Les critères de jugement sont ceux déjà cités et nécessitent de tenir particulièrement compte de l’opinion du malade.
En cas d’échec d’une de ces deux stratégies, le jury considère qu’il faut privilégier le recours à d’autres antihistaminiques anti-H1, en essayant successivement différentes molécules, seules ou en association, avant d’envisager l’utilisation de traitements alternatifs.
- Échec des stratégies précédentes : compte tenu de la rareté de ces situations, le jury considère que ces patients devraient nécessiter au cas par cas une discussion multidisciplinaire en milieu spécialisé.
Les différentes études de la littérature manquent de puissance ou sont contradictoires :
- doxépine : son utilisation a été proposée à partir de 2 études anciennes de niveau 2 ;
- antihistaminiques anti-H2 : l’association d’un antihistaminique anti-H1 à un antihistaminique anti-H2 a été proposée à une époque où le choix des antihistaminiques anti-H1 était limité. Le jury considère que le choix d’une telle association ne se justifie plus actuellement ;
- antileucotriènes : il n’y a pas d’argument pour proposer cette classe thérapeutique en pratique clinique courante.
D’autre part, la connaissance du risque de certaines autres thérapeutiques n’incite pas à leur utilisation en dehors d’essais cliniques :
-
- corticothérapie par voie générale : le jury considère qu’elle n’a pas de place dans le traitement de l’urticaire chronique idiopathique ;
- immunosuppresseurs, notamment ciclosporine ;
- traitements par les ultraviolets.
Dans l’état actuel des connaissances, les autres thérapeutiques qui ont pu être proposées n’ont aucune place dans la prise en charge de l’urticaire chronique idiopathique.
Question 6 - Quand faut-il envisager la prise en charge des facteurs psychologiques et selon quelles modalités ?
Envisager la prise en charge des facteurs psychologiques dans l’urticaire chronique doit tenir compte des éléments suivants :
- il s’agit d’une pathologie chronique, nécessitant à ce titre une prise en charge prolongée et spécifique ;
- l’urticaire est une maladie dermatologique, affectant un organe visible et privilégié de la vie de relation ;
- il existe des particularités cliniques comme le prurit ou le risque potentiel d’angio-oedème ;
- il y a très peu d’études contrôlées publiées concernant les facteurs psychologiques dans l’urticaire chronique et leur prise en charge. Cependant, comme pour d’autres dermatoses chroniques, une association entre stress, symptomatologie anxio-dépressive et urticaire chronique a été rapportée sans qu’aucune étude n’ait pu établir s’il s’agissait de la cause ou de la conséquence. Aucune relation n’a pu être démontrée entre la sévérité de l’urticaire chronique et celle d’un état anxio-dépressif. L’intensité du prurit peut toutefois être majorée par un syndrome dépressif. Parmi les troubles de la personnalité, la prévalence de l’alexithymie (difficultés à verbaliser des émotions) a été seule étudiée et est aussi importante dans l’urticaire chronique que dans le psoriasis (étude de niveau 3). Un retentissement sur la qualité de vie a été mis en évidence. Pour toutes ces raisons, le jury considère qu’il est licite d’envisager la prise en charge des facteurs psychologiques au cours de l’urticaire chronique. Cette attitude paraît d’autant plus raisonnable qu’elle repose essentiellement sur des données cliniques. Le jury souligne que des études seraient nécessaires pour préciser l’importance réelle des facteurs psychologiques dans l’urticaire chronique.
Quand faut-il envisager la prise en charge des facteurs psychologiques ?
Aucune étude parue dans la littérature ne porte sur le moment le plus opportun pour débuter une prise en charge psychologique dans l’urticaire chronique.
À la première consultation, le jury propose de veiller particulièrement à fournir au malade une explication détaillée de l’affection, de son évolution chronique et du projet de soin, une dédramatisation de ses peurs. Dans certaines situations, une recherche plus approfondie paraît appropriée :
- lors de souffrance psychique évidente ou demande d’aide psychologique exprimée par le malade ;
- devant des urticaires chroniques résistant au traitement antihistaminique anti-H1 ;
- en présence de certaines urticaires physiques, en particulier l’urticaire retardée à la pression.
Quelques questions simples peuvent alors servir de guide :
- Jusqu’à quel niveau les symptômes interfèrent-ils avec la qualité de vie du patient ?
- Quels sont les bénéfices secondaires éventuels ?
- Existe-t- il des facteurs de stress ? Quelle est leur relation éventuelle avec les poussées ?
- Existe-t- il des symptômes physiques et/ou psychiques d’anxiété ?
- Existe-t- il une symptomatologie dépressive isolée ou associée à des idées suicidaires ?
Modalités de la prise en charge des facteurs psychologiques
Dans la majorité des cas, la prise en charge initiale des facteurs psychologiques est assumée par le médecin traitant le patient atteint d’urticaire chronique :
- choix préférentiel d’un antihistaminique anti-H1 sédatif en cas de prurit avec troubles du sommeil et/ou anxiété réactionnelle ;
- soutien psychologique, réassurance du patient.
La prise en charge du stress peut être nécessaire (relaxation, thérapies cognitivo-comportementales, etc.).
En cas d’anxiété et/ou de syndrome dépressif caractérisés, le recours à un traitement spécifique est justifié dans le respect des bonnes pratiques. En cas de syndrome dépressif, l’usage fera préférer l’utilisation d’antidépresseurs de nouvelle génération (non tricycliques, non IMAO).
Un avis psychiatrique peut se discuter au cas par cas quand la maladie altère de manière significative la qualité de vie, ou quand le soutien psychique apporté par le médecin traitant et les traitements prescrits à visée psychologique sont peu efficaces.