Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité
L'objectif de cette conférence de consensus est de répondre aux cinq questions suivantes, posées au jury :
- Quelles sont les raisons invoquées pour justifier des restrictions au principe fondamental d’aller et venir ? Lesquelles peut-on retenir ?
- Comment sont appréciées les raisons justifiant les restrictions aux libertés selon le lieu, le moment et la situation dans lesquels la personne se trouve ?
- Quelles doivent être les conditions d’application des raisons invoquées pour justifier des restrictions au principe fondamental d’aller et venir ?
- Comment concilier d’éventuelles restrictions à la liberté d’aller et venir en établissement sanitaire et médico-social et le droit à la vie privée ?
- Quelles sont les attentes et les responsabilités des usagers et de leur entourage sur le dilemme entre la liberté d’aller et venir et les obligations de soins et de sécurité dans les établissements ?
Introduction
La liberté d’aller et venir est un droit inaliénable de la personne humaine. Dans une démocratie qui assure à ses citoyens les droits fondamentaux des personnes, tout doit être mis en œuvre pour favoriser l’exercice de ce droit.
Dans le cadre de cette conférence de consensus, la notion de liberté d’aller et venir pour une personne soignée ou accueillie dans un établissement sanitaire et médico-social ne doit pas être entendue seulement comme la liberté de ses déplacements, mais aussi comme le droit de prendre ses décisions elle-même et la possibilité de mener une vie ordinaire au sein de l’établissement qu’elle a choisi.
L’exercice de cette liberté repose, après délivrance d’une information compréhensible et adaptée, sur le recueil de l’approbation consciente de la personne, recherchée par tout moyen en cas de troubles du discernement.
La restriction de la liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médicosociaux est rarement la conséquence de l’indifférence ou du manque d’humanité des personnels soignants. Le plus souvent, elle résulte des contraintes abordées ci-dessous.
En pratique, la problématique est de réussir à concilier pour chaque personne deux principes apparemment opposés : respecter la liberté et assurer la sécurité. L’ajustement continu à ces impératifs a pour but de permettre au personnel soignant d’assumer sa responsabilité de garantir la sécurité sanitaire des personnes et de respecter leur liberté.
Le confinement injustifié, le manque de moyens et l’insuffisance de formation des professionnels sont les principales causes de la maltraitance en établissements. L’obligation de la préservation de la dignité de la personne conduit à affirmer qu’aucun traitement inhumain ou dégradant ne peut lui être infligé.
Si très souvent le manque de moyens est une réalité dans les établissements, il ne doit pas être une limite à la mise en œuvre de ces recommandations. L’application de ces dernières appelle des changements des comportements individuels et des modalités de travail en équipe, des modifications de l’organisation et du fonctionnement des établissements.
Le but de cette conférence de consensus est de donner un cadre à l’exercice de la liberté des personnes en particulier dans les situations de plus en plus fréquentes de multiplication des séjours de longue durée en établissement sanitaire et médico-social.
Situations concernées
L’objectif de ces recommandations n’est pas celui de la restriction des libertés des personnes soignées ou accueillies, mais celui de la préservation et de la facilitation de l’exercice de leur liberté d’aller et venir dans le cadre des nouvelles contraintes induites par l’allongement de la vie humaine et l’accroissement de la vulnérabilité.
Publics et lieux concernés
Les personnes soignées et accueillies
Les difficultés vécues par les personnes sont des difficultés à se déplacer du fait d’un handicap moteur ou sensoriel et/ou des difficultés temporaires ou durables à exercer leur consentement en raison d’un trouble du discernement ou d’un trouble mental. Lorsque la limitation met en cause la qualité et les conditions de vie, la réalisation d’une activité souhaitée par la personne et le maintien de ses relations familiales et sociales, elle représente une restriction à la liberté d’aller et venir.
Le trouble du discernement et le trouble mental ne peuvent pas et ne doivent pas être mis sur le même plan que le handicap moteur ou sensoriel, car ils ne nécessitent pas les mêmes réponses en termes de soins, d’éducation, de soutien et d’accompagnement.
Les professionnels
Les professionnels du soin (médecin, infirmier, aide-soignant, kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien, orthophoniste, psychologue, etc.) sont directement concernés et plus largement les éducateurs, les travailleurs sociaux et l’autorité administrative. Or, les niveaux de formation de ces professionnels sont variables, en termes d’approche des personnes vulnérables et d’apprentissage de la prise de décision collective et partagée avec les intéressés.
À l’action des professionnels s’ajoute la présence des familles, des proches, des représentants des associations d’usagers et des multiples instances de relais ou de médiation qui contribuent à définir et à réaliser le projet de vie et/ou de soins.
Les établissements sanitaires et médico-sociaux
L’ensemble des établissements sanitaires, y compris les hôpitaux spécialisés en santé mentale, et médico-sociaux (maisons de retraite, foyer pour les personnes handicapées, etc.) qui soignent, accueillent et accompagnent les personnes fragiles et vulnérables est concerné par la problématique, voire même l’habitation usuelle des patients en cas d’hospitalisation à domicile.
Question 1 - Quelles sont les raisons invoquées pour justifier des restrictions au principe fondamental d’aller et venir ? Lesquelles peut-on retenir ?
Raisons tenant à la répartition territoriale des établissements de soins et médicosociaux
L’adaptation de l’offre de soins et d’hébergement aux besoins de la population doit être une priorité. Au nom de l’obligation de donner des soins de qualité appropriés à toute personne, l’organisation territoriale de l’offre de soins et d’hébergement médico-social doit être mieux planifiée. Les principes de proximité et de libre choix qui doivent sous-tendre cette planification sont pour le jury des principes fondamentaux.
Raisons architecturales et liées à l’urbanisme
Le projet de vie des personnes doit être le critère principal de l’implantation des établissements et de l’évolutivité de leur architecture. Dans chaque structure, l’intérêt des personnes et de leurs proches doit être privilégié par :
- une accessibilité sans restriction à toutes les personnes ayant une incapacité fonctionnelle ou un déficit sensoriel quelle qu’en soit la cause ;
- une prise en compte des nouveaux besoins des personnes accueillies comme les nouvelles techniques de soins et d’accompagnement ;
- la conciliation des éventuelles restrictions à la liberté d’aller et venir avec le respect de la vie privée et de la dignité et l’exercice d’une vie sociale dynamique et mobilisante.
Raisons organisationnelles
Dans les établissements sanitaires, des restrictions sont justifiées pour assurer la réalisation des soins nécessaires, dans le respect d’un projet de vie. Dans les établissements médicosociaux, le projet de vie doit rester la préoccupation centrale. L’organisation interne des établissements doit s’appuyer sur :
- la souplesse de l’organisation du travail et des règles de vie collective ;
- le sens et la valeur de l’accompagnement comme condition d’exercice de la liberté de la personne ;
- un projet d’équipe dynamique favorisé par des méthodes de travail selon un mode collégial pour évaluer les situations et aider la prise de décision ;
- les formations des professionnels et leur contenu, de même que les types de métiers présents dans ces établissements pour accueillir et accompagner les personnes dans l’exercice de leur liberté ;
- la mobilisation et la responsabilisation des familles et des proches ;
- l’ouverture des lieux à l’extérieur (familles, proches, bénévoles) et sur l’extérieur dans un but d’intégration et de participation des personnes à la vie sociale ;
- un règlement intérieur, qui codifie les éventuelles restrictions à la liberté d’aller et venir, et une information des personnes.
Raisons sécuritaires
Les limitations de la liberté d’aller et venir pour des raisons de protection de la personne contre elle-même ou autrui ne sont acceptables qui si elles sont justifiées, précisées et connues (règlement intérieur et information de la personne). Elles recouvrent :
- les contraintes de la réalisation des soins : traitements ou explorations prescrits par l’équipe médicale ;
- le contrôle de la thérapeutique et les raisons d’hygiène, variables en fonction de l’état de santé du patient (sevrage, isolement septique, isolement protecteur, etc.) ;
- la protection de la personne quand ses comportements peuvent la mettre en danger (désorientation, idées de suicide, automutilations, etc.) ;
- la protection des tiers quand la personne peut les mettre en danger ;
- la protection de la vie collective, quand des interdictions portent notamment sur l’utilisation et le trafic de drogues ou d’alcool par exemple ;
- la sécurité des lieux telle qu’elle est établie par les commissions de sécurité départementales.
Raisons médicales
Les limitations d’aller et venir pour raisons médicales sont avant tout liées, quel que soit l’établissement, aux contraintes de la réalisation des soins et/ou des examens, aussi bien en cas de séjours de courte durée que de longue durée. Les contraintes de soins ou de prise en charge et d’accompagnement individuel doivent être expliquées à la personne et acceptées par elle, sauf situation d’urgence ou impossibilité pour elle de consentir.
L’expression du consentement peut être facilitée par l’emploi de divers moyens de communication, verbale, non verbale, etc., qui doivent être explorés pour chaque personne. Les difficultés d’expression d’un consentement ne doivent jamais être attribuées à un état définitif et le pari d’une possible amélioration clinique, comportementale et psychosociale doit toujours être fait.
Les difficultés motrices, sensorielles, cognitives ou mentales de la personne ne doivent pas conduire à une restriction systématique de sa liberté d’aller et venir, mais elles ont une influence sur son exercice.
Le propre de la maladie peut être d’altérer le discernement. Il est très rare que les capacités de discernement d’une personne soient amoindries ou altérées entièrement sur tous les points et il est toujours indispensable d’aller à la recherche de son consentement après une information adaptée et accessible.
Pour chaque personne, il faut analyser les capacités préservées et les compensations possibles, notamment avec un accompagnement, une éducation et des aides techniques adaptés, plutôt que de prendre en compte uniquement les déficiences ou le diagnostic médical. Une analyse s’impose également en tenant compte des interactions entre les difficultés rencontrées par la personne et l’environnement, sur lequel il est possible d’intervenir.
Raisons financières
Chaque personne doit pouvoir disposer librement de ses ressources financières. Celles-ci n’ont pas à être confisquées pour des motifs sécuritaires, médicaux ou administratifs. Les ressources demeurant à la disposition des personnes incapables majeures et des personnes aidées sur le plan social doivent rester suffisamment conséquentes et être adaptées individuellement.
Le jury recommande une attribution directe de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) à ses bénéficiaires. Son attribution mutualisée et directe aux établissements doit être l’exception et faire l’objet d’une validation par le conseil de la vie sociale de l’établissement. La pratique de la mutualisation aujourd’hui répandue doit être évaluée afin d’adapter la loi si besoin.
Question 2 - Comment sont appréciées les raisons justifiant les restrictions aux libertés selon le lieu, le moment et la situation dans lesquels la personne se trouve ?
Les situations différentes prennent en compte les variables suivantes :
- les caractéristiques des personnes : i) personnes ne pouvant pas exercer seules leur liberté d’aller et venir, mais à même d’exprimer en conscience leur volonté d’aller et venir, et ii) personnes souffrant de troubles du discernement ou de troubles rendant l’expression de leur consentement difficile ;
- les types de séjours : i) séjours de courte durée ou ii) séjours de longue durée, nécessitant un projet de vie dans l’établissement ;
- les étapes du séjour : i) entrée dans l’établissement, puis ii) temps du séjour.
Principes généraux
Le choix de l’établissement doit être guidé seulement par les besoins et les souhaits de la personne.
Dans tous les cas, toute restriction de liberté, à l’admission ou pendant le séjour, doit être expliquée et le consentement ou la participation de la personne à la décision doit être recherché par tout moyen le plus en amont possible. Lorsque la personne n’est pas en mesure de faire elle-même la demande et de donner son consentement à l’admission, les procédures suivies pour aboutir à l’approbation de la personne et de sa famille doivent être explicites.
Les motifs médicaux de restriction à la liberté d’aller et venir sont rares et doivent être des exceptions (par exemple contagiosité). Justifiés le plus souvent sur une courte période et dans le cadre des hospitalisations de court séjour, ils doivent être expliqués à la personne et à son entourage.
Une approche spécifique est nécessaire pour les personnes ayant des troubles cognitifs ou mentaux, en termes de consentement, de modalités d’hospitalisation et de séjour, et de progressivité de la prise en charge.
La situation de la personne ne doit pas s’analyser seulement selon une approche par diagnostic médical ; mais plutôt à partir de l’évaluation des capacités préservées et des compensations possibles, notamment avec un accompagnement, une éducation et des aides techniques.
Le projet de vie d’une personne, même quand son état est initialement altéré ou le devient sévèrement, doit tendre vers la récupération et en tout cas vers le maintien au maximum de ses capacités, ce qui suppose leur mise en exercice par des actions programmées de soutien individuel et collectif, réalisées par les professionnels, mais aussi des membres de l’entourage et des bénévoles.
Dans tous les cas, aucune restriction à la liberté d’aller et venir, dans et hors l’établissement, ne peut être appliquée, tant à l’admission, à la période d’adaptation que durant le séjour, sauf celles justifiées par les nécessités de la prise en charge médicale et paramédicale et les règles de la vie collective acceptées à l’entrée dans l’établissement.
La préservation de la liberté d’aller et venir doit se fonder sur un principe de prévention individuelle du risque et non sur un principe de précaution générale. Une fois ce risque objectivement identifié et évalué, des réponses concrètes visant à préserver l’exercice de la liberté d’aller et venir peuvent être recherchées en faisant participer la personne ainsi que sa famille et/ou son entourage au partage du risque, qui est le plus souvent théorique.
L’exercice de la liberté d’aller et venir ne peut être considéré comme effectif que si certaines conditions d’accessibilité et de circulation dans l’établissement sont assurées, ce qui implique des adaptations architecturales et des moyens humains et matériels (personnel suffisant, diversifié et formé, mobilisation et responsabilisation de la famille et de l’entourage, facilitation de l’action des bénévoles, aides techniques adaptées) notamment pour les personnes à mobilité réduite ou ayant un déficit sensoriel.
Les entraves à la libre circulation liées à l’architecture et à l’aménagement des bâtiments doivent être supprimées. L’ouverture sur l’extérieur, la circulation intérieure et l’aménagement des espaces individuels et collectifs doivent être des critères à prendre en compte soit lors de la conception des établissements, soit par des aménagements programmés des établissements déjà construits.
Évaluation
L’évaluation des capacités, des besoins (soins, aides humaines et techniques, éducation) et des souhaits de la personne, quels que soient son âge et son état de santé, est nécessaire avant toute décision d’actions.
Cette évaluation a pour but d’améliorer la qualité et les conditions de vie de la personne, la réalisation d’une activité et le maintien de ses relations humaines et sociales. Les actions de préservation et de promotion de la liberté d’aller et venir qui en découlent facilitent son intégration et sa participation à la vie sociale de l’établissement et de l’extérieur.
L’évaluation des capacités préservées et altérées de la personne est réalisée initialement quel que soit le type de séjour envisagé. Elle doit être complétée systématiquement par une évaluation en situation afin d’adapter les aides humaines et techniques et pour élaborer et adapter son projet de soins et/ou de vie. La situation de la personne doit être réévaluée systématiquement lors de tout changement de son état de santé.
Une analyse s’impose également en tenant compte des interactions entre les difficultés rencontrées par la personne et l’environnement, sur lequel il est possible d’intervenir. Par exemple, une personne souffrant de maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés ne doit pas se voir interdire systématiquement de sortir seule sauf si la situation présente à l’évidence un danger pour elle. D’une manière générale, l’adaptation de l’environnement diffère selon le type de handicap moteur ou sensoriel, cognitif ou mental.
La famille et l’entourage doivent être associés à ces différents temps d’évaluation, en particulier pour convenir de l’aide qu’ils pourraient apporter pour permettre l’exercice de la liberté d’aller et venir, en articulation avec les professionnels, d’une part, et les intervenants bénévoles, d’autre part.
La balance entre les risques réellement encourus par la liberté d’aller et venir, dans et hors de l’établissement, et les risques d’aggravation de l’état de santé, conséquences du confinement, doit être évaluée, discutée avec la famille et l’entourage et régulièrement réévaluée.
Cette évaluation peut être réalisée avec l’aide des dispositifs existants comme les centres locaux d’information et de coordination (CLIC), les consultations de gérontologie, les consultations pluridisciplinaires de mémoire, les maisons départementales des personnes handicapées, etc. Les solutions alternatives à l’admission dans un établissement doivent toujours être explorées, en mobilisant les services sociaux et la famille (service de soins à domicile, accueil de jour et capacité de la famille). Le recours aux dispositifs existants peut faciliter la prise de décision pour l’orientation vers un type de séjour et un type d’établissement adaptés aux besoins de la personne, à son évolution prévisible et à ses souhaits.
L’orientation des personnes handicapées devrait être régie par le seul souci d’une prise en charge adaptée à leurs besoins et à leurs souhaits et non pas par celui de certains établissements de choisir les personnes dont la situation de handicap est la moins lourde. À cet égard, les maisons départementales des personnes handicapées devraient remédier à cet état de fait.
Admission
Informée, la personne est décisionnaire. Elle peut refuser les soins et quitter à tout moment l’établissement de santé pourvu qu’elle ait été informée des risques liés à son départ et que tout ait été mis en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
L’adéquation entre les besoins, les capacités, les souhaits de la personne et l’offre de soins et d’accueil doit être réelle. Le choix de l’établissement d’accueil par la personne et son entourage doit pouvoir se faire à partir du projet d’établissement. En particulier pour les personnes ayant une pathologie rare, l’accès aux établissements régionaux et nationaux très performants dans une prise en charge spécifique (soins, rééducation, éducation) doit être garanti, quelle que soit leur origine géographique. Les frais engagés par la famille pour un rapprochement de domicile visant à améliorer la qualité de vie de ces personnes et de leur famille devraient pouvoir être en partie pris en charge par la collectivité.
Particularités de l’admission en court séjour
Si le séjour est nécessaire pour le diagnostic et les préconisations de soins, que la personne consente, même partiellement, ou non, il est conseillé que l’hospitalisation soit courte et réalisée plutôt en ambulatoire, si possible avec un accompagnement étroit par des proches. Aucune autre restriction que celles nécessaires aux soins et au maintien de la sécurité sanitaire ne peut être prévue.
Particularités de l’admission pour un séjour de longue durée
Si l’orientation vers un établissement de séjour de longue durée est préconisée, il est préférable de proposer une admission à l’essai ou de recourir éventuellement à un accueil de jour ou à un séjour temporaire, même si ce n’est pas la mission première de ces services
Pour les personnes ayant un trouble du discernement ou un handicap mental, aucune admission ne doit s’envisager comme une relégation définitive. Le projet de vie doit être évolutif. Le bien fondé du séjour dans l’établissement doit être réévalué périodiquement en termes de qualité et de conditions de vie et d’exercice de la liberté d’aller et venir.
Chaque établissement doit être à même pour chaque admission sans le consentement de la personne d’expliciter les procédures suivies pour y aboutir (motivation par l’analyse de la situation qui rend le séjour en établissement indispensable, exposé des efforts faits pour l’expliciter au patient et à sa famille) en portant tous ces faits au dossier de la personne.
Pendant le séjour
Les restrictions apportées à l’exercice de la liberté au motif des règles de vie collective doivent laisser place à la possibilité pour les personnes de développer, si elles le souhaitent, des activités individuelles, et notamment celles qui maintiennent leurs liens avec la vie sociale (adaptation des horaires de repas, de visites, sorties pour quelques jours, etc.).
Les établissements accueillant des personnes, adultes et enfants, dont la capacité de déplacement est réduite doivent être ouverts sur un environnement de proximité apte à leur conserver ou à favoriser une bonne participation et intégration dans la vie sociale.
Les établissements accueillant des personnes, adultes et enfants, pour des soins, de l’éducation et de l’accompagnement doivent favoriser l’exercice de la liberté d’aller et venir en proposant un projet éducatif pour le temps libre et les vacances. Les soins dispensés dans l’établissement devraient pouvoir être complétés par des prises en charge spécifiques extérieures en fonction des besoins de la personne.
En séjour de longue durée, la sortie individuelle des personnes qui le peuvent, seules ou prises en charge par leur entourage ou des bénévoles, ne doit pas nécessiter une autorisation médicale préalable, mais respecter seulement un devoir d’information de l’équipe soignante, sauf contre-indication motivée et explicite du médecin. Ces sorties doivent être prévues et encouragées dans les projets de vie et les projets de l’établissement, avec formulation des initiatives et des programmes d’actions qui seront réalisés en ce sens. Elles favorisent l’établissement de liens des personnes isolées avec la communauté.
Les comportements à risque doivent être réévalués et étayés par des faits. La personne doit être protégée contre elle-même et vis-à-vis d’autrui. La protection de la personne ne doit pas conduire au confinement des autres dont le comportement entraînerait une atteinte à son intimité et à sa dignité ou sa mise en danger.
Question 3 - Quelles doivent être les conditions d’application des raisons invoquées pour justifier des restrictions au principe fondamental d’aller et venir ?
Conditions de préservation de la liberté d’aller et venir
Une intervention humaine et un aménagement architectural sont préférables à un dispositif de surveillance électronique ou une fermeture automatique des locaux ou un recours à des moyens de confinement, voire de contention.
Les lieux ouverts et le contrôle des allées et venues
Le jury n’est pas favorable aux lieux fermés, il préconise leur ouverture sur l’extérieur. Les dispositifs et les contrôles d’accès électroniques doivent être considérés comme un pis-aller. La liberté de sortie doit pourvoir s’exercer sans autre contrôle que d’avoir à signaler son départ et son heure prévue de retour, en dehors du respect du règlement intérieur.
La réponse à la déambulation et au risque de sortie inopinée doit être de préférence :
- humaine (maintenir le contact à tout prix avec la personne, accompagner son déplacement, trouver un sens à son déplacement) ;
- organisationnelle (présence humaine à la porte de l’établissement susceptible de réagir rapidement et de manière adaptée) ;
- et architecturale (recherche de la meilleure réponse en matière de qualité des espaces et de qualité de travail et d’accueil : maîtrise des déplacements des personnes âgées désorientées, des visiteurs, des personnes accueillies et des professionnels ; limitation des accès à une zone contrôlée), ce qui suppose un encadrement et une formation suffisante des professionnels au contact des personnes vulnérables
Les réponses éducatives
Les personnes qui deviennent déficientes sensorielles du fait du vieillissement sont capables d’acquérir de nouvelles compétences avec un accompagnement et des aides techniques adaptés, comme le montrent les projets de la Fondation de France «vivre ses choix : prendre des risques ».
Lorsque la règle collective acceptée est transgressée, la réponse doit être éducative (rappel de la règle, explication) et non répressive, en particulier chez les personnes ayant un handicap mental pour lesquelles la réponse doit avoir un sens.
La prescription adaptée des médicaments
La littérature internationale confirme que nombre de troubles du comportement, d’errances, ou de chutes, en particulier chez la personne âgée, peuvent être mis en rapport avec les effets secondaires des traitements prescrits isolément ou en association.
La contention
La contention est pour le jury une atteinte à la liberté inaliénable d’aller et de venir. La contention systématique doit être interdite. Les solutions alternatives préconisées dans les recommandations de l’Anaes¹ doivent être utilisées :
- modification matérielle (modification de l’environnement, mise à la disposition d’aides à la marche, personnalisation des chambres, etc.) ;
- approche occupationnelle (activités journalières, promenades accompagnées, animation institutionnelle, etc.) ;
- approche médicale et infirmière (évaluation des problèmes physiques et sociopsychologiques, soulagement de la douleur, étude du sommeil, déplacement du résident auprès du poste infirmier, etc.) ;
- approche socio-psychologique (écoute active de la personne et de ses vécus, modification des stimuli relationnels, détermination de point de repères, etc.).
La contention doit être exceptionnelle, réduite aux situations d’urgence médicale après avoir exploré toutes les solutions alternatives et correspondre à un protocole précis :
- recherche préalable systématique d’alternatives ;
- prescription médicale obligatoire en temps réel, après avoir apprécié le danger pour la personne et les tiers, et motivation écrite dans le dossier médical ;
- déclaration dans un registre consultable dans l’établissement ;
- surveillance programmée, mise en œuvre et retranscrite dans le dossier de soins infirmiers ;
- information de la personne et de ses proches ;
- vérification de la préservation de l’intimité et de la dignité ;
- réévaluation toutes les trois heures au plus, avec nouvelle prescription en cas de renouvellement et nouvelle recherche d’alternatives.
¹ ANAES. Limiter les risques de la contention physique de la personne âgée. Évaluation en établissements de santé. Anaes, 2000, 56 pp.
Conditions d’application de la restriction de la liberté d’aller et venir
Toute restriction d’aller et venir n’est envisageable que si son bénéfice l’emporte sur les risques éventuels induits par le maintien de cette liberté. Toute décision de confinement doit faire l’objet d’un protocole précis, être motivée, portée au dossier de la personne, écrit sur un registre consultable par les autorités de contrôle et faire l’objet d’une information rapide à l’entourage.
Pour la personne accueillie et son entourage
Au moment de l’admission, au-delà des outils existants (livret d’accueil précisant les droits et les devoirs de la personne accueillie, charte des droits et libertés, etc.), plusieurs mesures doivent être mises en œuvre pour préserver la liberté d’aller et venir :
- informer la personne sur les conditions d’exercice de la liberté d’aller et venir et les restrictions liées à la sécurité et aux contraintes de la vie collective. L’information délivrée est adaptée au niveau de compréhension de la personne et l’équipe s’assure de la bonne compréhension des informations ;
- donner des conseils adaptés à son état, à ses besoins et à ses souhaits pour exercer sa liberté d’aller et venir dans les meilleures conditions ;
- définir un projet d’établissement qui précise les actions concrètes de promotion menées pour assurer la liberté d’aller et venir des personnes ;
- définir dans le projet individuel l’adaptation des conditions d’exercice de la liberté d’aller et venir aux besoins et attentes de la personne, à ses capacités et aux possibilités de compensation de ses déficits notamment par un programme d’actions de soutien individuel et collectif par les professionnels, la famille, l’entourage et les bénévoles ;
- proposer la possibilité de réaliser des essais pour s’assurer que l’exercice de la liberté d’aller et venir est possible sans risque inacceptable ;
- réévaluer systématiquement la situation de la personne lors de tout changement de l’état de santé ou de souhait de changement exprimé par celle-ci, cette réévaluation pouvant conduire à une redéfinition de son projet individuel et des modalités d’exercice de la liberté d’aller et venir ;
- tenter systématiquement d’obtenir le consentement de la personne, même s’il est parfois difficile d’évaluer ses capacités préservées, recueillir son adhésion, y compris si elle manifeste une forme d’assentiment ou de refus de façon non verbale. À défaut d’obtenir le consentement de la personne, l’équipe recherche une personne de l’entourage en s’assurant que son statut lui permet de répondre en ses lieu et place.
La personne doit toujours être l’interlocuteur premier, même si elle présente des altérations de ses capacités cognitives et/ou psychiques.
Pour l’équipe
Il est indispensable que les pratiques professionnelles soient fondées sur un travail d’équipe qui s’appuie sur la conduite suivante :
- définir des procédures rigoureuses d’analyse clinique, qui ont notamment comme finalité la préservation de la dignité de la personne accueillie et qui permettent une prise de décision selon un schéma validé au préalable ;
- garder pour toute procédure une trace écrite dans le dossier de la personne ;
- assurer une collégialité dans la prise de décision, en recherchant un consensus de l’équipe à travers des réunions de synthèse pluriprofessionnelles régulières. Si le consensus n’est pas obtenu, la prise de décision incombe à un médiateur extérieur au service ;
- réévaluer périodiquement les modalités d’exercice de la liberté d’aller et venir. En cas de restriction motivée, la réévaluation est systématique et à périodicité la plus brève possible ;
- désigner un référent, qui doit veiller à ce que la mise en œuvre de la liberté d’aller et venir soit effective, individualisée et non uniformisée. Il a en outre un rôle de lien entre la personne et sa famille et/ou son entourage d’une part, l’équipe d’autre part, en particulier en cas de désaccord. Il peut faire partie de l’équipe, être intégré dans l’établissement ou être issu d’une association d’usagers.
Le jury recommande :
- l’étude de la mise en place d’une commission externe incluant les comités d’usagers qui aurait pour mission d’évaluer les questions relatives aux restrictions à la liberté d’aller et venir ;
- l’augmentation sensible de la part de personnel qualifié dans les établissements, jusqu’à devenir majoritaire auprès des personnes vulnérables. En plus des infirmiers et des aides-soignants, une diversification des métiers (aides médico-psychologiques, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, psychologues, éducateurs, artthérapeute, etc.) doit être recherchée pour favoriser l’exercice de la liberté d’aller et venir en termes de compensation des déficits, d’acquisition de nouvelles compétences avec un accompagnement et des aides techniques adaptées, de maintien du contact avec la personne, de compréhension du sens donné à son déplacement, de participation et d’intégration à la vie sociale.
Question 4 - Comment concilier d’éventuelles restrictions à la liberté d’aller et venir en établissement sanitaire et médico-social et le droit à la vie privée ?
Deux principes directeurs en matière de droit à la vie privée
- Chacun a le droit au respect de sa vie privée et la vie collective en établissement comme le mode de délivrance des soins ne doit pas faire obstacle à ce droit.
· - La recherche du consentement sous toutes ses formes (écrit, oral, verbalisé ou non) constitue un principe absolu du respect de toutes les composantes de la vie privée.
Définition des principales composantes de la vie privée
La vie privée se définit tout d’abord au regard de l’identité du sujet qui ne se réduit pas à son état civil, mais s’étend à sa personnalité, son histoire, sa culture, son exercice professionnel passé ou présent, sa scolarité, ses habitudes de vie, ses liens familiaux ou sociaux, ses convictions philosophiques ou religieuses. La notion de vie privée se caractérise aussi par le respect de l’intimité de la personne, le secret de sa correspondance et son intimité familiale ou sentimentale.
L’exercice d’une vie personnelle doit être favorisé : visites, maintien des liens familiaux, personnels et affectifs, secret des correspondances, confidentialité des échanges et des informations, libre administration des ressources et biens personnels, y compris la mise à disposition d’un « reste à vivre » suffisant pour les personnes qui n’ont pas la libre disposition du patrimoine.
Les convictions politiques, religieuses ou philosophiques doivent être respectées et leur exercice facilité : exercice des droits civiques, libre intervention d’un ministre du culte, religion de son choix.
Le respect de l’intimité de la personne, de son intégrité corporelle implique non seulement un mode adapté de délivrance des soins et des accompagnements dans les actes essentiels de la vie, mais également le respect de la vie et des orientations sexuelles de la personne et la facilitation de l’exercice de ce droit.
Le jury insiste sur la nécessité de disposer de la jouissance d’un espace privatif avec la possibilité d’y exercer les actes essentiels de la vie courante, tout particulièrement en cas de séjour prolongé. À cet égard, l’espace privatif doit être considéré comme la transposition en établissement du domicile du résident.
Articulation vie privée/liberté d’aller et venir
Le respect de la vie privée doit inspirer les modes d’organisation, les configurations architecturales, les règlements internes, les modes d’intervention des professionnels et ce dans le souci de parvenir au plein épanouissement de la personne dans sa vie quotidienne au sein de l’établissement.
À titre d’exemple, s’agissant de la configuration architecturale :
- situation en rez-de-chaussée, à proximité du centre ville avec une proximité avec les établissements accueillant des publics d’âge différents : crèche, école pour favoriser l’échange entre générations, introduction de services, acteurs et animations venant de l’extérieur ;
- aménagements pour le respect de l’intimité et la protection des biens : porte d’entrée du logement, placards ou autres meubles personnels fermant à clé ; coffre pour objets de valeur, accessible par les personnes accueillies sur une grande plage horaire quotidienne ;
- circulations horizontales (contraste de couleur entre les mains courantes et mur, mur et porte, porte et poignée) dans le respect des normes de circulation adaptées aux personnes à mobilité réduite ;
- circulations verticales : adaptation des ascenseurs aux personnes à mobilité réduite, mal voyants, déficients sensoriels (indications élaborées en braille, annonce verbale, chiffres en gras et couleur contrastée, etc.), continuité de la main courante après la fin des escaliers.
S’agissant des espaces privatifs :
- ameublement du logement et individualisation des espaces disponibles : objets et effets personnels, cabinet de toilettes adapté, le cas échéant kitchenette, etc., possibilité d’apporter son mobilier, personnalisation de l’espace, notamment par une décoration de son choix ;
- mise à disposition des ressources et biens personnels en toute liberté.
S’agissant de l’équilibre des espaces privatifs et de convivialité :
- création d’espace de convivialité : salle de musique, télévision, salle d’activités manuelles (tricot, peinture, conte, fêtes d’anniversaire, décoration en fonction des saisons, etc.) ;
- présence d’un salon de coiffure, esthétique, pédicure ou possibilité pour les usagers de faire appel à ces professionnels ;
- espaces de vie privatifs communs à deux usagers ;
- lieux de restauration pour famille, amis et usagers ;
- activités personnalisées : 1 usager, 1 encadrant.
S’agissant des espaces de communication et promotion des nouvelles technologies :
- personnel (animateur) disponible pouvant accompagner les usagers dans leur utilisation ;
- téléphone adapté aux capacités visuelles, auditives, manuelles ;
- mise à disposition régulière des informations sur la vie culturelle, sociale et associative locale sur supports adaptés.
S’agissant des aides humaines pour réaliser l’accompagnement à l’intérieur et l’extérieur :
- construction avec la personne d’un projet de vie ou d’un projet éducatif pour les temps libres et de vacances pour donner un sens à ces sorties : maintien du lien social, rencontre d’amis, achats dans des commerces, etc. ;
- mise à disposition de véhicules adaptés et de personnel d’accompagnement : salariés et bénévoles ;
- mise à disposition en nombre suffisant de déambulateurs, fauteuils roulants adaptés aux possibilités de déambulation de la personne ;
- collaboration des professionnels pour la réalisation d’un projet de vie et/ou de soins et/ou éducatif de qualité, avec l’aide de kinésithérapeute, orthophoniste, psychomotricien, éducateur, psychologue clinicien, neuropsychologue, assistant social, art-thérapeute.
Question 5 - Quelles sont les attentes et les responsabilités des usagers et de leur entourage sur le dilemme entre la liberté d’aller et venir et les obligations de soins et de sécurité dans les établissements ?
Définition des dispositions applicables en matière de liberté d’aller et de venir aux personnes accueillies dans l’établissement
Pour chaque personne accueillie, le développement ou la préservation de sa liberté d’aller et venir et de ses corollaires (dignité, intimité) doivent être précisés dans le projet individuel. Toute restriction individuelle de cette liberté qui serait supérieure aux restrictions collectives doit être déclarée, motivée, expliquée et révisée régulièrement.
Une transposition de ces règles applicables aux établissements médico-sociaux devrait être réalisée dans les unités sanitaires de court et de moyen séjour au sein desquelles l’accueil des personnes soignées se déroule sur des durées significatives.
Place de l’entourage dans la définition et dans la mise en œuvre de la liberté d’aller et de venir
Il est nécessaire d’associer la famille à l’élaboration du projet individuel de la personne, de la mobiliser et de la responsabiliser et de rechercher systématiquement son aide ainsi que celle de l’entourage pour permettre l’exercice de la liberté d’aller et venir.
L’usager doit être informé dès son admission de ses droits et de ses devoirs dans sa vie quotidienne en établissement, notamment en ce qui concerne sa liberté d’aller et venir.
Si des réglementations internes à l’établissement peuvent prévoir à titre exceptionnel, pour des raisons tenant à la sécurité des personnes, une limitation dans l’espace des déplacements de l’usager, elles doivent impérativement poser comme principe cardinal leur liberté fondamentale d’aller et venir.
Les règlements de fonctionnement et les règlements intérieurs doivent être élaborés en tenant compte de l’avis des représentants des usagers, du monde associatif, des professionnels œuvrant dans l’établissement, mais aussi des bénévoles qui concourent à son fonctionnement. Ils sont rédigés en des termes accessibles à tous (y compris à ceux qui sont privés du langage et de sa compréhension par une mise en image adaptée). Ils doivent être communiqués à l’usager dès son arrivée, mais aussi affichés et diffusés largement dans tous les lieux de l’établissement.
Participation des usagers
Le conseil de la vie sociale de l’établissement ou le groupe d’expression doivent participer à l’élaboration et à la révision du projet d’établissement et du règlement de fonctionnement et traiter au moins une fois par an dans leur ordre du jour des conditions d’effectivité des dispositions relatives à la liberté d’aller et de venir dans l’établissement et des améliorations qui pourraient y être apportées.
Les enquêtes de satisfaction doivent pour leur part comporter des questions relatives à l’exercice de cette liberté au niveau individuel.
Gestion des conflits
Dans tous les cas, les procédures devraient permettre une expression propre de l’usager, a fortiori lorsque les attentes exprimées sont divergentes avec celles énoncées par sa famille. En cas de divergence de point de vue entre les familles et les équipes des établissements, il est conseillé de faire d’abord appel à un avis extérieur (CLIC, consultation de gérontologie, personne qualifiée) et à toutes les méthodes de médiation existantes.
Dans tous les cas d’admission forcée, toute personne intéressée peut porter le conflit devant le juge.
Le respect des droits fondamentaux et de la liberté d’aller et venir de la personne accueillie dans un établissement doit être une préoccupation majeure des autorités de contrôle et faire l’objet de vérifications. Au niveau local, des procédures doivent permettre aux usagers et à leurs représentants de poser un recours pour restriction abusive de liberté. Les personnes plaignantes doivent être protégées de toutes représailles comme sont protégés par la loi les salariés qui dénoncent des maltraitances dans les établissements
Ouverture de l’établissement sur le monde extérieur, facteur de développement des libertés
Le respect des droits fondamentaux et de la liberté d’aller et venir de la personne accueillie dans un établissement ne peut pas reposer sur le seul investissement des professionnels. Un véritable partenariat avec des bénévoles doit être développé, en définissant avec eux le cadre et les limites de leur participation et en leur apportant la formation et le soutien nécessaire. L’établissement peut initier et coordonner lui-même un réseau de bénévoles. Il peut également rechercher le partenariat avec des associations extérieures pour favoriser cette ouverture sur la cité. Les autorités de contrôle doivent intégrer cette dimension et savoir favoriser, notamment par la mise à disposition de moyens financiers, le développement et le soutien de ces formes de partenariats.
Il faut poursuivre et intensifier le processus de diversification des espaces et des temps du séjour par l’éclatement de petites unités hors les murs, par le soutien sur le lieu de vie ordinaire et par des modes d’accueil temporaire et séquentiel.
Perspectives
Formations
Il est nécessaire de développer pour les équipes et pour chaque professionnel, en formation initiale et aussi en formation continue, les compétences nécessaires :
- à évaluer les risques à prévenir, sur la base d’éléments objectifs ;
- pour acquérir la capacité à faire face aux situations qui concernent la préservation de la liberté d’aller et venir : prise de décision collégiale, négociation avec la personne et son entourage, émergence du consentement et des choix, etc. ;
- à maintenir un contact à tout prix avec la personne, accompagner son déplacement, trouver un sens à son déplacement ;
- à mener des recherches-actions sur les pratiques innovantes qui permettent de préserver la liberté d’aller et venir en établissement sanitaire et médico-social.
Études et recherches
Face à l’absence totale en France de recherches cliniques sur les personnes vulnérables, il est important qu’un programme concerté de recherches cliniques et de recherches-actions sur ces thèmes soit développé par l’université, l’Inserm, le CNRS et la Dress.
Les priorités de recherche établies par le jury portent sur :
- la réalisation d’une enquête permettant de déterminer l’importance quantitative des accidents liés à la prise de risque. De nombreux juristes ont souligné que la perception d’une judiciarisation croissante ne leur semble pas correspondre à la réalité. C’est à partir d’une telle analyse qu’on pourrait mettre en balance la crainte de la judiciarisation et les méfaits des restrictions de liberté imposées en son nom à un grand nombre d’usagers ;
- le développement des recherches cliniques, anthropologiques et épidémiologiques permettant d’évaluer les moyens de prévenir les risques encourus, les conséquences des limitations de la liberté d’aller et venir en termes d’aggravation de pathologies ou de déficiences ;
- la comparaison de différents moyens utilisés pour protéger les personnes quand leur état les empêche d’aller et venir, voire induit des comportements d’agitation et de confusion qui leur sont préjudiciables. Les moyens de contention chimiothérapeutique sont à évaluer également ;
- l’élaboration d’outils d’évaluation des personnes, de leur situation initiale et de leur évolution serait utile, les experts n’en ayant pas proposé lors de la conférence ;
- des études à mener en collaboration avec les différents acteurs concernés sur les différents systèmes d’assurance possible pour l’indemnisation des accidents résultant de l’exercice par les personnes de toutes leurs capacités. Les pistes de travail pourraient concerner les dispositions suivantes :
- l’assurance personnelle responsabilité civile et individuelle accidents pour chaque résident ; ceci serait cohérent avec le fait de considérer le plus possible la résidence comme domicile des personnes,
- la prise en charge du surcoût de l’assurance de l’établissement du fait de l’augmentation du nombre d’accidents à indemniser dans le budget qui lui est accordé,
- la création d’un fonds d’indemnisation de l’aléa lié à l’exercice de leur liberté d’aller et venir par les résidents vulnérables d’un établissement.
Élaboration de recommandations professionnelles
Le jury recommande que soient élaborées des recommandations professionnelles sur :
- les meilleures stratégies de modification des pratiques d’admission des personnes sans leur consentement ;
- les alternatives à la fermeture des services et des lieux de vie ;
- les modalités de la prescription des psychotropes chez la personne âgée ;
- la recherche d’alternatives à la contention ;
- la contention physique en psychiatrie.
Propositions pour les conseils généraux
La liberté d’aller et venir doit être prise en compte dans l’élaboration du projet d’établissement et constituer un élément de validation pour les conseils généraux. De même, les projets d’établissement et les projets individuels doivent prévoir les conditions de sortie extérieure et les vacances des personnes. Le manque de moyens des établissements, qui souvent peut constituer une limite, ne doit pas empêcher la dynamique de mise en œuvre des recommandations de la conférence de consensus. Les changements organisationnels, les modalités de travail en équipe, les réponses humaines doivent être accompagnés en particulier par la formation continue et une diversité des professionnels auprès des personnes vulnérables.
Nécessité d’une réflexion sur le cadre juridique
Le consentement à l’admission
Le jury souligne l’importance de la question des pratiques d’admission contre leur consentement des personnes ayant des troubles du discernement ou plus généralement vulnérables, et la nécessité de la limiter au maximum. Il ne tranche pas sur la question des moyens législatifs à construire éventuellement :
- certains membres du jury estiment qu’en droit français la règle générale est que nul ne peut être assigné à résidence (privé de liberté) sans son consentement sans que des bases législatives n’en fixent strictement les conditions. Une législation serait donc protectrice des personnes vulnérables ;
- d’autres estiment au contraire que le vote d’une telle loi serait de nature à constituer une législation d’exception, mettant à l’écart les personnes souffrant de troubles du discernement, au-delà des hospitalisations encadrées par la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux.
De manière générale, une majorité des membres du jury estime qu’il sera plus efficace pour le moment présent de faire évoluer les pratiques de respect de la volonté des personnes, même en difficultés de l’exprimer, par des mesures influant directement sur ces pratiques elles-mêmes, à condition qu’elles soient contrôlées et évaluées comme le prévoie la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Mais le jury demande qu’une réflexion approfondie soit engagée sur ce thème.
Les personnes incapables majeures
Le jury appelle de ses vœux une réforme de la loi du 3 janvier 1968 sur les incapables majeurs, tant pour :
- redéfinir les conditions d’ouverture d’une mesure de protection légale (mesure de conciliation préalable à la décision, recherche du consentement, mesure de protection adaptée et proportionnée à l’état de la personne vulnérable) ;
- étendre les compétences du délégué à la protection (administrateur légal, tuteur, curateur) à la protection de la personne ;
- permettre au majeur de désigner par mandat une personne chargée de le représenter et de l’assister dans l’éventualité où il serait privé de discernement ;
- mettre en place une formation spécialisée et un statut unique de délégué à la protection afin d’exercer ces nouvelles missions ;
- permettre un recours au juge des tutelles pour les mesures les plus graves relatives à l’intimité de la vie privée ou touchant à l’intégrité du corps humain.
Les craintes de judiciarisation
Les professionnels craignant d’engager leur responsabilité placent les personnes vulnérables dans un milieu surveillé ou dans un cadre d’assistance, plus souvent subi qu’accepté, qui aboutit à les priver de la liberté d’aller et venir. Sans nier cette crainte ressentie, cette affirmation ne peut être prise comme une évidence par les spécialistes des questions de responsabilité. Face à cette crainte des divers professionnels d’une judiciarisation croissante des rapports avec les usagers et leurs familles, il serait utile de pouvoir réfléchir à partir de données scientifiques et statistiques et non pas à partir d’impressions ou de fantasmes sur les conséquences de la prise de risque. Une enquête devrait permettre de déterminer l’importance quantitative des accidents liés à la prise de risque, des demandes d’indemnisation civile et des poursuites pénales. C’est à partir d’une telle analyse qu’on pourrait mettre en balance la crainte de la judiciarisation et les méfaits des restrictions de liberté imposées en son nom à un grand nombre d’usagers.
Concernant les questions de responsabilité juridique proprement dites, responsabilité civile et administrative concernant l’indemnisation des victimes, le jury constate que de plus en plus le droit évolue vers une responsabilisation sans faute, qui a des conséquences sur le coût assurantiel des établissements. Le jury constate que dans le secteur de la santé, par exemple pour l’indemnisation de l’aléa thérapeutique, il existe une mutualisation des risques prise en charge par la solidarité nationale. Le jury est cependant bien conscient que dans le secteur des personnes âgées et des personnes handicapées, le nombre actuel des contentieux ne mérite peut-être pas la création d’un fonds d’indemnisation de ce type. Mais la question de la prise en charge du renchérissement du coût de l’assurance dans les budgets des établissements doit être prise en compte.