Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burnout
Les objectifs de cette fiche mémo sont de définir le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout, d’améliorer son repérage et sa prise en charge, ainsi que l’accompagnement des patients lors de leur retour au travail. Ces recommandations se limitent au volet clinique du thème : l’action sur le milieu et l’organisation du travail est exclue du champ de ces recommandations. Elle est néanmoins indispensable dans une démarche de prévention du burnout.
Cette fiche mémo porte sur la définition du syndrome d’épuisement professionnel, son repérage, sa prise en charge et l’accompagnement des patients lors de leur retour au travail. Les cibles professionnelles de ces recommandations sont prioritairement les médecins généralistes et les médecins des services de santé au travail. La population cible concerne tout travailleur quel que soit son statut. Ces recommandations se limitent au volet clinique du thème : l’action sur le milieu et l’organisation du travail est exclue du champ de ces recommandations. Elle est néanmoins indispensable dans une démarche de prévention du burnout. Les médecins généralistes et médecins du travail sont invités à faire le lien entre le diagnostic individuel et les facteurs de risque inhérents aux situations de travail.
Contexte
L’évolution des conditions et des organisations de travail est associée à une prévalence croissante des facteurs de risque psychosociaux susceptibles de porter atteinte à la santé à la fois physique et mentale. Le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas considéré comme une maladie dans les classifications de référence (CIM-10 et DSM-5). Il se rapproche d’autres situations non spécifiques telles que par exemple la souffrance au travail ou les effets du stress lié au travail1 . Après les affections de l’appareil locomoteur, la souffrance psychique causée ou aggravée par le travail est le 2e groupe d’affections d’origine professionnelle décrit dans la population salariée active française.
1. Khireddine I et al. La souffrance psychique en lien avec le travail chez les salariés actifs en France entre 2007 et 2012, à partir du programme MCP. Bull Epidémiol Hebdo 2015;(23):431-8.
Définition
Le syndrome d’épuisement professionnel, équivalent en français du terme anglais burnout, se traduit par un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel »2 . Les travaux de Christina Maslach ont permis de concevoir le syndrome d’épuisement professionnel comme un processus de dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail ou dépersonnalisation (déshumanisation, indifférence), la diminution de l’accomplissement personnel au travail ou réduction de l’efficacité professionnelle.
2. Schaufeli WB and Greenglass ER. Introduction to special issue on burnout and health. Psychol Health 2001;16(5):501-10.
Manifestations cliniques et démarche diagnostique
Le burnout est un ensemble syndromique qui nécessite une démarche diagnostique. Celle-ci vise à caractériser la sévérité du trouble, son type diagnostique et ses liens avec les conditions de travail. Le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas une maladie caractérisée.
Ce syndrome peut se traduire par des manifestations plus ou moins importantes, d’installation progressive et souvent insidieuse, en rupture avec l’état antérieur, notamment (liste non exhaustive) :
émotionnelles : anxiété, tensions musculaires diffuses, tristesse de l’humeur ou manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion ; ´ cognitives : troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration, des fonctions exécutives ;
comportementales ou interpersonnelles : repli sur soi, isolement social, comportement agressif, parfois violent, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité à l’égard des collaborateurs ; comportements addictifs ;
motivationnelles ou liées à l’attitude : désengagement progressif, baisse de motivation et du moral, effritement des valeurs associées au travail ; doutes sur ses propres compétences (remise en cause professionnelle, dévalorisation) ;
physiques non spécifiques : asthénie, troubles du sommeil, troubles musculo-squelettiques (type lombalgies, cervicalgies, etc.), crampes, céphalées, vertiges, anorexie, troubles gastro-intestinaux.
La démarche diagnostique permet de caractériser le syndrome en repérant des pathologies sous-jacentes éventuelles telles que, notamment, un trouble de l’adaptation, un trouble anxieux, un trouble dépressif ou un état de stress post-traumatique. Le risque suicidaire3 doit être particulièrement évalué. Cette démarche implique une recherche des facteurs de risque.
Un bilan somatique doit rechercher une pathologie organique associée qui aurait pu se manifester par certains des symptômes cités précédemment.
L’analyse des conditions de travail est faite prioritairement avec le médecin du travail, ou le centre de consultation de pathologie professionnelle4.
4. Pour les personnes ne disposant pas de médecin du travail.
Facteurs de risque
La recherche des facteurs de risque commence par l’analyse des conditions de travail. Cette analyse repose sur une démarche structurée, coordonnée par le médecin du travail avec l’appui de l’équipe pluridisciplinaire (ergonome, psychologue du travail, etc.). Elle peut s’appuyer sur les six catégories de facteurs de risque psychosociaux suivantes tirées du rapport Gollac5 :
intensité et organisation du travail (surcharge de travail, imprécision des missions, objectifs irréalistes, etc.) ;
exigences émotionnelles importantes avec confrontation à la souffrance, à la mort, dissonance émotionnelle ;
autonomie et marge de manœuvre ;
relations dans le travail (conflits interpersonnels, manque de soutien du collectif de travail, management délétère, etc.) ;
conflits de valeurs ;
insécurité de l’emploi.
L’existence de ressources dans le travail est protectrice (soutien social, stabilité du statut, collectif de travail vivant, moyens techniques, matériels et humains suffisants).
L’analyse doit également porter sur les antécédents personnels et familiaux, les événements de vie, la qualité du support social et le rapport au travail. Le risque de développer un syndrome d’épuisement professionnel peut être associé à des antécédents dépressifs, à certains traits de personnalité pouvant limiter les capacités d’adaptation (coping).
Ces facteurs individuels ne peuvent servir qu’à préconiser une prévention renforcée, et ne sauraient bien sûr en aucun cas constituer un élément de sélection des travailleurs, ni exonérer la responsabilité des facteurs de risque présents dans l’environnement de travail.
Particularités des soignants
Population à risque historiquement identifiée et objet de nombreuses études récentes montrant une morbidité particulièrement élevée, les professionnels de santé en activité ou en formation sont exposés au risque d’épuisement professionnel, étant donné la pénibilité de leur travail que ce soit pour des causes intrinsèques liées à la nature même de l’activité médicale (confrontation avec la souffrance et la mort, prises en charge impliquant l’entrée dans l’intimité des patients, etc.) ou des causes extrinsèques (charge et organisation du travail, etc.).
Différents facteurs rendent les professionnels de santé vulnérables : demande de performance, image du soignant infaillible, valeurs d’engagement et d’abnégation, injonctions contradictoires, dispositifs de soin complexes et évolutifs, tensions démographiques, insécurité, etc.
D’autre part, il est important de souligner que les conséquences sur les professionnels de santé ont des répercussions non seulement humaines, mais aussi sur l’organisation et la qualité des soins.
Les soignants nécessitent une prise en charge spécifique via un réseau de soin adapté. Au même titre que les autres groupes professionnels, celle-ci implique le respect de la confidentialité et une réactivité adaptée, d’autant que la demande d’aide peut être retardée. Un soutien social est indispensable. Les professionnels de santé salariés bénéficient d’un suivi au sein de leur service de santé au travail comme tout autre travailleur salarié.
Repérage
Ce repérage peut être réalisé par le médecin traitant, le médecin du travail et l’équipe de santé au travail. Dans l’intérêt du patient et avec son accord, il est indispensable qu’un échange ait lieu entre le médecin du travail et le médecin traitant.
- Le repérage individuel s’appuie sur un faisceau d’arguments incluant une analyse systémique : des manifestations cliniques, des conditions de travail et, en complément, d’éventuels facteurs de susceptibilité individuelle. Le déni du travailleur peut entraîner un retard de prise en charge.
Il est rappelé que tout travailleur peut solliciter une visite auprès du médecin du travail à tout moment, y compris pendant l’arrêt de travail, et sans en informer son employeur si la visite a lieu en dehors des heures de travail.
Le Maslach Burnout Inventory (MBI) ou le Copenhagen Burnout Inventory (CBI), comme d’autres questionnaires6 , permettent d’évaluer le syndrome d’épuisement professionnel, mais ils n’ont pas été construits comme des instruments d’évaluation individuelle. Ils peuvent être éventuellement utilisés comme outil pour guider un entretien avec le patient.
Ces explorations sont à réaliser en complément de la recherche des facteurs professionnels, des données de vécu du travail et de santé collectées par ailleurs, des signes cliniques observés et entendus, notamment par le médecin du travail et/ou l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail.
- Le repérage collectif est réalisé par l’équipe de santé au travail coordonnée par le médecin du travail sur un ensemble de signaux liés au fonctionnement de la structure (absentéisme ou présentéisme, turn-over fréquent, mouvements du personnel, qualité de l’activité et des relations sociales) ou à la santé et à la sécurité des travailleurs (accidents du travail, maladies professionnelles, visites médicales spontanées, inaptitudes).
6. Par exemple le Oldenburg Burnout Inventory (OLBI) ou le Shirom-Melamed Burnout Measure (SMBM).
Prise en charge et acteurs
La prise en charge vise à traiter le trouble identifié ainsi qu’à agir sur le contexte socioprofessionnel à l’origine du trouble. La prescription d’un arrêt de travail est le plus souvent nécessaire. Sa durée sera adaptée à l’évolution du trouble et du contexte socioprofessionnel.
Le médecin traitant coordonne cette prise en charge. Il prescrit si nécessaire un traitement en s’appuyant sur la démarche diagnostique et adresse éventuellement le patient à un psychiatre. L’intervention d’un psychiatre peut être sollicitée notamment pour réaliser un diagnostic psychopathologique ou une adaptation thérapeutique, prendre en charge un trouble sévère et poursuivre un arrêt maladie.
La prescription d’un traitement antidépresseur est uniquement recommandée dans le cadre de ses indications (troubles anxieux, troubles dépressifs7).
Le traitement du trouble peut comporter une prise en charge non médicamenteuse fondée sur des interventions psychothérapeutiques ou psychocorporelles effectuées par un professionnel de santé ou un psychologue formé à ces techniques.
Dans tous les cas, il est recommandé que le médecin traitant se mette, avec l’accord du patient, en contact avec son médecin du travail ou celui d’une consultation de pathologie professionnelle8 pour alerter et avoir un éclairage sur le lieu de travail.
L’analyse du poste et des conditions de travail est en effet indispensable. Celle-ci est réalisée par l’équipe pluridisciplinaire coordonnée par le médecin du travail. Des actions de prévention (individuelle et/ou collective) sont préconisées en conséquence.
La prise en charge des aspects médico-socioprofessionnels et psychologiques est indispensable, notamment pour aider les patients dans les démarches médico-administratives : orientation vers les consultations de pathologie professionnelle, services d’assistante sociale, etc.
7. Haute Autorité de Santé. Recommandations sur l’épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours (en cours d’actualisation).
8. Pour les personnes ne disposant pas de médecin du travail.
Accompagnement du retour au travail
Le retour au travail doit être préparé. À cet effet, il est recommandé d’organiser une visite de pré-reprise avec le médecin du travail, à l’initiative du patient, du médecin traitant ou du médecin-conseil des organismes de sécurité sociale, à tout moment pendant l’arrêt. Celle-ci peut être répétée. Elle est essentielle pour l’accompagnement de la réinsertion socioprofessionnelle, et obligatoire9 pour les salariés en arrêt de travail d’une durée de plus de 3 mois.
À l’issue de la visite de pré-reprise, le médecin du travail peut recommander des aménagements ou adaptations du poste de travail, des pistes de reclassement ou des formations professionnelles qui pourraient être envisagées pour faciliter le reclassement du salarié ou sa réorientation professionnelle.
Lors de cet accompagnement, le médecin du travail et l’équipe pluridisciplinaire, par leur connaissance du milieu et des conditions de travail, ont un rôle clé : ils ont un rôle de préparation et d’accompagnement lors de la reprise de l’emploi (suivi régulier indispensable) et participent au maintien dans l’emploi du patient suite au burnout, en lien avec les professionnels et médecins spécialistes qui le suivent.
9. Article R. 4624-20 du Code du travail.
Ressources
Liste des associations de représentants d’usagers : cf. annexe 3 du rapport d’élaboration.
Liste des consultations spécialisées de pathologies professionnelles : cf. annexe 4 du rapport d’élaboration.
En savoir plus
Académie nationale de médecine. Le burnout. Paris: ANM; 2016.
Groupe de travail de la commission des pathologies professionnelles du Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique. Pathologies d’origine psychique d’origine professionnelle. Partie 1 : pathologies psychiques. Références en santé au travail. 2013(133):75-86.