Opportunité d'un dépistage systématique du cancer de la prostate par le dosage de l'antigène spécifique de la prostate
Si le cancer de la prostate est en terme d'incidence le 2ème cancer chez l'homme, il n'arrive qu'en 7ème position en terme de mortalité. Le dosage de l'Antigène Spécifique de la Prostate (PSA) est très largement prescrit dans le cadre d'un dépistage individuel. Cette recommandation porte sur l'opportunité de la mise en place d'un dépistage systématique du cancer de la prostate par le dosage du PSA. A partir d'une analyse crtitique de la littérature, les dix critères établis par l'Organisation Mondiale de la Santé permettant de juger de la pertinence du dépistage d'une maladie ont été passés en revue.
Une analyse médico-économique a également été réalisée.
Synthèse
Si le cancer de la prostate est en terme d’incidence le deuxième cancer chez l’homme dans le monde développé, il n’arrive qu’en septième position en terme de mortalité. L’incidence de ce cancer a augmenté au cours de ces dernières années. Cette élévation pourrait être le fait d’une augmentation du diagnostic des cancers de prostate au stade localisé, s'expliquant par la réalisation plus fréquente de dosages sanguins de l'Antigène Spécifique de la Prostate (PSA) et de résections endo-uréthrales de prostate. La mortalité liée à ce cancer n’a pas évolué selon la même tendance.
Le dépistage du cancer de la prostate a déjà fait l'objet de plusieurs documents de recommandations.
Un dépistage est justifié si la pathologie remplit les dix critères de l'OMS (Wilson et Jungner). Ces derniers ont servi de référence à plusieurs pays qui ont examiné l'opportunité de réaliser un dépistage de masse du cancer de la prostate et qui y ont répondu de manière négative (critères non remplis). Il s'agit du National Cancer Institute, de l'US Preventive Services Task Force, de l'American College of Physicians, de l'International Union Against Cancer, de la World Health Organization, du Canadian Task force on the Periodic Health Examination, de la Canadian Cancer Society, de la Canadian Urological Society, du British Columbia Office of Health Technology Assessment et de Conférences de Consensus en Suède, en France et au Canada.
Cependant, quelques sociétés savantes et groupes professionnels se sont prononcés pour un dépistage de masse malgré l'absence de réponses à certains de ces critères : l'American Cancer Society, l'American Urological Society et l'American College of Radiology.
Actuellement, les États-Unis, le Canada et certains pays européens sous la conduite des Pays-Bas réalisent des essais randomisés destinés à évaluer le bénéfice potentiel d'un dépistage de masse du cancer de la prostate.
Pour réaliser ce travail, l'ANAES a également conduit sa réflexion en se basant sur les critères de l’OMS
La maladie doit représenter un problème important de santé publique :
En France, l’incidence standardisée du cancer de la prostate varie entre 24,9 (Isère) et 37,9 (Tarn).
En Europe les extrêmes varient de 17,1 (Pologne) à 74,7 (Suède) (données 1992).
La mortalité standardisée est de 16,7 en France et varie en Europe de 11,9 (Pologne) à 22,2 (Norvège).
Après avoir régulièrement augmentée au cours des dernières décennies, l’incidence du cancer de la prostate décroît actuellement ainsi que la mortalité conduisant à formuler plusieurs hypothèses : diminution de prescription des dosages de PSA et/ou diminution du “ pool ” des stades pré-cliniques par le dépistage. La véritable prévalence est en réalité difficile à apprécier, les seules données disponibles provennant de séries d’autopsies où la prévalence histologique varie de 12 % dans la tranche d’âge 40-49 ans à 43 % chez les patients de plus de 80 ans.
En terme d'années de vie perdues, l'impact de ce cancer est très inférieur à celui du cancer du poumon ou des cancers digestifs par exemple.
Si de nombreux facteurs de risque ont été suspectés (facteur familiaux, facteurs ethniques, antécédents de vasectomie, régime alimentaire, hormones sexuelles, activité physique), l’état actuel des connaissances ne permet pas encore d’orienter une prévention primaire. Le cancer de la prostate représente donc un problème de santé publique moins important que le laisse entrevoir son incidence et sa prévalence.
Elle doit exister à un stade latent reconnaissable, l'histoire naturelle de la maladie incluant le développement du stade latent au stade déclaré doit être correctement compris :
Le développement du cancer de la prostate est sous la dépendance des androgènes. L’adénocarcinome représente 95 % des cancers de la prostate. Le cancer de la prostate a une histoire naturelle très longue : si aucune régression spontanée ne semble exister, la progression n’est pas inévitable durant la vie d’un patient. Si 30 à 40 % des hommes de plus de 50 ans peuvent être porteurs d’un cancer de la prostate, seuls 8 % sont susceptibles de devenir “ cliniquement significatifs ” et moins de 5 % ont une probabilité d’en décéder. D’autre part, les données de la littérature concernant les cancers de prostate non traités montrent des taux de survie élevés à 5, 10 ou 15 ans.
Les petits adénocarcinomes sont asymptomatiques et détectés de manière incidente (PSA ou résection endo-uréthrale). Les adénocarcinomes plus importants peuvent donner des signes obstructifs similaires à ceux de l’hypertrophie prostatique bénigne.
La réponse à ce critère n’est pas en faveur du dépistage.
Il doit exister un traitement efficace pour les patients atteints de la maladie :
Il existe 3 alternatives de traitement dans les cancers de prostate localisés : la prostatectomie radicale, la radiothérapie, l’abstention thérapeutique surveillance et le traitement différé. Il n’existe pas actuellement d’étude permettant de déterminer la supériorité d’un traitement par rapport à un autre. Cependant, il existe plusieurs essais randomisés en cours.
Actuellement, les seuls résultats disponibles proviennent de modélisations mathématiques. Bien que de tels modèles soient critiqués, ces études sont en faveur, pour les patients de moins de 70 ans porteurs de tumeur moyennement ou peu différentiée, d'un traitement par prostatectomie radicale ou par radiothérapie par rapport à la surveillance-traitement différé.
Il doit exister des tests performants pour le dépistage :
Le dosage du PSA sanguin permet d'identifier une anomalie biologique en faveur de l'existence d'un cancer de la prostate. Cependant, en routine, existent des problèmes de variabilité de résultat selon les méthodes utilisées (valeur seuil). La plupart des études ont permis d’obtenir des valeurs prédictives positives de l’examen dans des populations sélectionnées surestimant certainement la réalité de la prévalence de la maladie dans une population générale. Les quelques études cas témoins disponibles rapportent une sensibilité variant entre 46 et 81 % et une spécificité variant entre 91 et 99,5 %.
Des mesures du PSA modifiées ont été proposées (vélocité du PSA, densité du PSA, taux du PSA en fonction de l’âge, PSA libre) ; la supériorité de leur utilisation par rapport au taux de PSA sanguin n’est pas prouvée, d’autre part la réalisation de mesures répétées du PSA n’augmenterait pas de manière significative le taux de tumeurs détectées au stade localisé par rapport au dosage unique.
D’autres tests peuvent être utilisés dans le dépistage des cancers de la prostate : le toucher rectal et l’échographie prostatique par voie endorectale. Les limites dans la véritable estimation des caractéristiques de ces tests sont les mêmes que pour le PSA.
La stratégie la plus performante pourrait consister à combiner le PSA et le toucher rectal et à faire une biopsie lorsque l'un des deux est positif. Cependant, la stratégie optimale reste à définir en prenant en compte également des critères organisationnels et économiques.
Le test doit être acceptable pour la population, le dépistage doit apporter un bénéfice en terme de Santé Publique :
Il n’existe aucune étude randomisée ou cas témoin montrant le bénéfice d’un dépistage systématique du cancer de prostate en terme de mortalité spécifique ou de confort de vie. Des essais sont en cours (États-Unis, Canada, Europe), utilisant des stratégies de dépistage différentes. Ces essais, s'ils n'apportent pas encore de résultats définitifs, illustrent l'importance des facteurs non planifiables que sont les difficultés de recrutement et les passage d’un groupe à l’autre dans ces essais de dépistage randomisés. En 1997, les données de la littérature semblent montrer qu’une information objective des bénéfices et des effets indésirables potentiels du dépistage et du traitement du cancer de la prostate orientent la préférence des patients soit vers une non adhésion soit vers une impossibilité à prendre la décision, alors que l’entourage y est plus favorable. L’acceptabilité des tests semble également liée aux incertitudes entourant le dépistage plus qu’à leur aspects techniques.
Outre les critères de l’OMS, les bénéfices d’un dépistage doivent être analysés en intégrant des facteurs économiques :
Les études économiques sont majoritairement en défaveur d'un dépistage de masse, sans condamner par ailleurs certains dépistages spontanés. Si les résultats des études concluent à un coût de dépistage qui ne peut être considéré comme prohibitif par rapport à d'autres programmes, la décision d'allouer des ressources à ce dépistage nécessite une meilleure connaissance des gains en espérance de vie.
Le dépistage, de masse ou individuel, implique par ailleurs l'amélioration de l'information des patients afin notamment de corriger l'idée selon laquelle la découverte précoce des cancers de la prostate permet l'amélioration de la survie et du taux de guérison. Le manque de données sur le bénéfice apporté par un dépistage des hommes asymptomatiques et les méfaits constatés des traitements curatifs doivent être portés à la connaissance des patients. Le médecin serait donc chargé de présenter de façon objective les implications du dépistage. Les patients doivent être conscients qu'un test suspect conduira à d'autres investigations et potentiellement à prendre une décision difficile quant au traitement curatif associé à un taux très élevé de morbidité.
Au terme de cette étude, il semble, sur la base d'une revue de la littérature économique, prématuré d'envisager la mise en place d'un programme de dépistage de masse des cancers de la prostate chez les hommes asymptomatiques.
Enfin, il apparaît que, pour rendre compte de l'opportunité de la mise en place d'un dépistage systématique du cancer de la prostate, l'évaluation économique devra reposer sur les résultats d'études coût-efficacité prenant en compte les coûts d'organisation des campagnes de dépistage.
Le bénéfice d’un dépistage de masse du cancer de prostate n’est donc pas établi en 1998.
Recommandations
Le cancer le plus fréquent chez l'homme de plus de 50 ans est celui de la prostate. Après une période d’augmentation de son incidence, une légère diminution des cas incidents est observée depuis 1994 ; ceci pourrait être lié à une déplétion du sous groupe des cancers de prostate infracliniques due à une meilleure détection. La mortalité semble amorcer parallèlement une baisse toutefois trop récente et trop faible pour qu’elle puisse être interprétée. Les données disponibles sur les années de vie perdues ont montré que l’impact de ce cancer était très inférieur à celui du cancer du poumon ou des cancers digestifs.
De nombreuses interrogations persistent concernant l'efficacité des traitements du cancer de la prostate localisé : le meilleur traitement n'est pas défini ; la morbidité des traitements et leur impact sur la qualité de vie participent grandement à cette conclusion. L'intérêt du traitement curatif par rapport à la surveillance et un traitement différé n'est pas démontré (même s’il est suggéré pour certaines tranches d’âge et certains types de tumeur). Il est en 1998 impossible d'identifier, parmi les tumeurs de prostate détectées, celles qui feront courir un risque vital au patient au cours de son existence et celles qui ne seront pas la cause de son décès. Le degré de différenciation de la tumeur est cependant le facteur pronostic connu le plus déterminant. Les hommes ayant des antécédents familiaux de cancer de la prostate pourraient représenter une sous-population à risque, toutefois il n'existe pas de critères spécifiques (âge, nombre de personnes atteintes dans la fratrie et degré de parenté) définissant cette sous-population.
En ce qui concerne l'analyse économique, l'étude de la littérature montre qu'il est prématuré d'envisager la mise en place d'un dépistage de masse du cancer de la prostate, sans condamner par ailleurs certains dépistages spontanés.
Le dosage du taux de PSA sanguin total serait en cas de dépistage la modalité à utiliser. En effet, ce dosage permet d'identifier une anomalie biologique en faveur de l'existence d'un cancer de la prostate. Cependant, des problèmes de variabilité des résultats existent en routine selon les méthodes utilisées (valeur seuil). De plus, les performances de ce test (valeur prédictive) en situation de dépistage systématique restent mal connues. La stratégie la plus performante qui consiste à combiner le PSA et le toucher rectal et à faire une biopsie lorsque l'un des deux est positif ne correspond pas à une stratégie de référence ou gold standard. La stratégie optimale reste à définir en prenant en compte également des critères économiques.
L'acceptabilité des tests de dépistage par la population demande à être mieux précisée même si quelques éléments de réponse sont disponibles. La médiatisation autour du cancer de la prostate dans la plupart des pays développés et les premiers résultats des essais randomisés en cours évaluant le bénéfice du dépistage (États-Unis et Europe) ont clairement montré la nécessité et la difficulté d'informer le patient et de prendre en compte sa préférence individuelle.
En conclusion, les connaissances actuelles ne permettent pas de recommander un dépistage de masse du cancer de la prostate. Il semble indispensable de conduire une réflexion complémentaire sur l’information au patient et sur l’opportunité d’un dépistage individuel par la bonne prescription
du dosage du PSA.