COVID-19 - Engagement des usagers dans les retours d’expériences
L'essentiel
Les retours d’expérience (RETEX) constituent des outils de choix autant pour l’analyse d’un dysfonctionnement dans une prise en charge ou un accompagnement individuel que pour une crise systémique, comme celle du COVID 19.
Les méthodes relatives aux RETEX font trop souvent l’impasse sur la participation des usagers dans leurs phases de conception, de déploiement et de restitution alors que cette participation est parfaitement légitime et source de bénéfices individuels et collectifs dans la conduite des RETEX.
Le recours au numérique, notamment dans des circonstances épidémiques, permet de recourir aisément aux RETEX.
La formation des usagers en vue de leur participation est déterminante pour bien comprendre les objectifs du RETEX qui n’a pas pour vocation la recherche de responsabilités ou de fautes mais d’opérer sur l’évènement ou l’enchaînement des évènements pour éviter leur survenue à l’avenir.
Le recours aux RETEX est particulièrement justifié quand il s’agit de s’interroger sur les parcours de soin et/ou d’accompagnement et leur coordination.
Contexte
Le Conseil pour l’engagement des usagers de la HAS a estimé que dans la crise du COVID-19, il lui appartenait de formuler un avis sur la façon dont l’engagement des usagers pouvait mieux se traduire à l’occasion des retours d’expériences (connus sous les acronymes REX ou RETEX) qui seront conduits après l’épidémie de COVID-19.
En effet, des dysfonctionnements ont pu survenir dans des situations individuelles de soin ou d’accompagnement des usagers et faire l’objet de retours d’expérience, d’une part, et les effets systémiques de l’épidémie de COVID-19 font l’objet de retours d’expérience déjà planifiés ou à planifier par de nombreux organismes ou organisations de soins, sociales ou médico-sociales, d’autre part.
Le présent avis s’intéresse donc à la double dimension individuelle et collective des retours d’expérience. Il porte à la fois sur les retours d’expériences opérés par la HAS comme dans l’ensemble du système de santé, sanitaire et social quand ils mobilisent un retour d’expérience à des fins d’évaluation et de proposition.
I – Que signifie « retour d’expérience » ?
La terminologie « retour d’expérience » ne renvoie pas toujours à une méthode bien reconnue et appliquée, les facilitations pour l’engagement des usagers en sont trop souvent absentes.
1- Un développement dans le champ de la sécurité
Les RETEX se sont surtout développés dans le cadre de la sécurité sanitaire où ils bénéficient de recommandations en vue de l’analyse d’un ou de quelques évènements individuels.
Comme dans les industries complexes et à risques qui ont développé des dispositifs de retour d’expérience depuis longtemps, le domaine de la santé a connu, plus récemment, la même évolution.
S’appuyant sur les travaux de James Reason [1], un retour d’expérience mobilise des hommes et des femmes, et des organisations, pour tirer des leçons de maîtrise des risques, de façon systémique [2], en se détachant de l’évènement concernant une ou des personne(s), afin d’éviter que les erreurs se reproduisent.
Cependant, ce n’est qu’assez récemment, après qu’une enquête de la DGOS en 2009 révélait que près de la moitié des établissements de santé ne disposaient pas de méthode que des travaux ont été engagés à ce titre. C’est ainsi que des repères méthodologiques ont été promus par la Mission Sécurité du Patient de la HAS en 2014 [3]. Puis, très récemment un guide méthodologique a été publié à l’initiative de la Direction générale de l’offre de soins [4].
Ainsi, les retours d’expérience en lien avec des situations individuelles sont définis comme une démarche collective d’équipe pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire qui a pour finalité d’améliorer la sécurité des patients. Cette démarche s’intéresse aux « pourquoi » des événements survenus en collectant les informations et analysant de manière approfondie les organisations et les facteurs humains. Elle comporte des actions d’amélioration et permet le partage et la communication des enseignements retirés. Les retours d’expériences n’ont jamais pour objectif de rechercher des responsabilités individuelles, des fautes, ni d’identifier « qui » est responsable.
2- Une extension aux dysfonctionnements de portée collective
Toutefois, le terme connait aussi un usage plus général portant vers l’analyse de dysfonctionnements globaux du système sanitaire, social et médico-social.
Il revêt alors une acception plus large. Ce que l’on a pu observer lors de la canicule de 2003, des conditions de lutte contre la grippe H1 N1 de 2009[5] et bien sûr dès les premières paroles publiques à l’occasion de l’épidémie de COVID-19 de l’année 2020 [6]. Les États-généraux de la santé (1997-1998) et les Assises du médicament (2011) comportaient aussi, à bien des égards, une part revendiquée de retour d’expérience.
3- Une participation rarement proposée aux usagers
En dehors des États-généraux de la Santé ou des Assises du médicament, dans l’une ou l’autre des formes des retours d’expérience la participation des usagers reste rare.
À la lecture des documents de référence, les retours d’expérience et leurs méthodes de référence placent rarement les usagers du système de santé en tant que participants dynamiques mais plutôt en objet individuel ou collectif du retour d’expérience.
Ainsi, en 2014 lorsqu’elle s’intéresse à la méthode d’un retour d’expérience en établissement de santé, la HAS [7] discerne quatre étapes :
- Connaître,
- Comprendre,
- Agir,
- Partager.
A aucune de ces étapes, l’inclusion d’un ou des usagers, ou de leurs représentants, n’est prévue.
Quant aux autres retours d’expérience, aux ambitions collectives et précédemment cités, seuls deux d’entre eux (États-généraux de la santé, Assises du médicament) ont fait une large place aux citoyens et aux usagers du système de santé, selon des méthodes qui les intègrent plus ou moins fortement d’ailleurs.
Parallèlement, des enquêtes se parent parfois des vertus des retours d’expérience, alors qu’au fond elles ne documentent un phénomène que dans la seule dimension d’enquête sur une population ou une catégorie d’acteurs [8] ou d’analyse de rapport d’enquêtes [9], par exemple.
II – Des attentes sur l’ensemble du parcours
La triple dimension sanitaire, sociale et médico-sociale des conséquences, individuelles ou collectives, de la crise liée au COVID-19 amène la formulation d’attentes dans les retours d’expérience.
Ces attentes sont portées par les individus eux-mêmes, et notamment relevées par la presse écrite et audio-visuelle qui recueille leurs témoignages, mais aussi des regroupements de professionnels, des groupes d’établissements, des organismes privés ou publics et des institutions publiques [10].
Au-delà de l’émotion suscitée par le nombre élevé de décès et les souffrances endurées par les victimes directes et indirectes du COVID-19, de nombreuses personnes témoignent de la nécessité de comprendre l’évènement, et au sein de cet évènement les limites du système sanitaire, social et médico-social. En outre, des interrogations sévères ont été formulées sur le bien-fondé de certaines stratégies ou doctrines (port du masque, disponibilité des outils de dépistage, ressources hospitalières, coordination des secteurs sanitaire, social et médico-social).
III – Faciliter l’engagement des usagers
Les méthodes et les pratiques de conduite des retours d’expérience, quand elles s’appliquent aux évènements individuels ou collectifs de la crise récente du COVID-19, comme plus généralement, doivent faciliter l’engagement des usagers.
1- Une participation légitime
Les usagers, patients ou personnes accompagnées, doivent être associés aux retours d’expérience pour des raisons maintenant bien établies.
Les usagers, patients ou personnes accompagnées disposent d’une légitimité d’usage du système de santé qui justifie qu’ils expriment leurs points de vue contributifs, ce qui est déjà admis dans les processus d’évaluation publique, comme le recueil de la satisfaction et de l’expérience avec e-satis, par exemple, ou privée.
En outre, leurs savoirs expérientiels, construits individuellement ou collectivement [11], constitue une forme d’expertise recommandée et souvent admise pour améliorer la réponse sanitaire, sociale ou médico-sociale. La participation dans de tels travaux d’évaluation permet de répondre au défi de la co-construction des actions en santé évoquée dans de nombreux travaux internationaux comme facteur de réduction de la distance entre les producteurs et les usagers de soins, d’une part, et de réduction des inégalités sociales de santé, d’autre part.
Enfin, plus globalement, les citoyens ont tous un droit ouvert à l’évaluation de l’action publique, garanti par la loi fondamentale [12].
2- Des aménagements nécessaires pour une participation effective
Pour cela, les méthodes de construction des retours d’expérience telles qu’elles sont souvent proposées doivent comporter quatre aménagements en faveur d’un engagement des usagers.
Les propositions reprises ci-dessous s’insèrent dans le séquençage déterminé par les travaux de la HAS et de la DGOS à propos des retours d’expérience en milieu hospitalier et constituent aussi une invitation pour les retours d’expérience qui ont trait à l’analyse d’une politique publique de santé à quelque niveau que ce soit.
- Connaître
Le plus souvent, un retour d’expérience, qu’il soit individuel ou collectif, repose sur la mise en place d’un comité d’organisation[13] (CREX) qui a pour objectif premier de décider des cas à analyser. Un tel comité d’organisation comporte peu de membres, mais devrait systématiquement comporter un ou plusieurs usagers et/ou des représentants d’usagers, ou encore un ou des proche(s) de la personne concernée, pour contribuer à la définition des questions devant être explorées par le retour d’expérience.
Quand il n’y a pas de comité d’organisation au sens entendu précédemment, ce qui peut être le cas pour l’examen d’une situation individuelle, il est nécessaire que l’équipe ou les responsables ayant en charge la conduite de ce retour d’expérience associent un ou des représentants d’usagers, issus par exemple des instances de participation des usagers des établissements des services ou des équipes concernés.
La connaissance du ou des évènements proposé(s) pour un retour d’expérience doit permettre d’identifier les bons fonctionnements autant que les dysfonctionnements, d’une part, et situer le ou les évènement(s) en cause dans leur enchaînement global, d’autre part, dans une démarche apprenante tant pour les personnes que pour les institutions participant au retour d’expérience.
- Comprendre
Il faut intégrer des usagers ou des représentants des usagers dans la phase où se discute la compréhension des dysfonctionnements ou des phénomènes qui sont l’objet du retour d’expérience.
Il n’y a pas de raison de leur refuser ce rôle car les représentants des usagers du système de santé issus d’une association agréée sont tenus, dans le cadre de leur mandat, au secret professionnel. Les obstacles à leur participation doivent dont être levés.
En outre, contrairement aux appréhensions des professionnels, la présence des représentants des usagers, est, à la lumière des enseignements retirés des retours d’expérience où ils sont présents :
- une contribution à la meilleure identification des questions à se poser dans un retour d’expérience,
- une facilitation de l’échange avec les personnes concernées dans le cas de l’analyse d’une situation individuelle, d’autre part.
- Agir
Il faut également intégrer des usagers ou des représentants des usagers dans la participation à l’élaboration des mesures correctrices et des plans d’actions élaborés après la phase de compréhension des situations objets du retour d’expérience.
À cet égard, la discussion de ces mesures correctrices, élaborées par le comité d’organisation ou l’équipe ayant en charge le retour d’expérience, en concertation avec d’autres instances le cas échéant, afin qu’ils en soient informés, notamment quand ils sont membres des instances de démocratie en santé des établissements, services ou équipes concernés.
- Partager
La participation des usagers ou des représentants des usagers aux restitutions du retour d’expérience permet de faire part de leur regard sur les situations et de faire entendre leur voix dans le partage de proximité, institutionnel ou public dans la restitution de la dynamique et des résultats des retours d’expérience.
La situation d'une personne concernée et examinée par un retour d'expérience doit faire l'objet d'une information spécifique auprès de cette personne pour lui restituer les mesures correctives qui ont été le cas échéant adoptées.
IV – Autres observations
1- Le recours au numérique
Dans un contexte épidémique, comme le COVID-19, il n’existe pas de freins, en dehors des limites déjà soulevées par la HAS, notamment en termes d’accès aux outils numériques et aux réseaux pour les publics les plus vulnérables ou les territoires les moins bien desservis [14], pour associer les usagers et/ou leurs représentants dans les différentes étapes des retours d’expérience dans la mesure où des solutions électroniques permettent de garantir leur participation en toute sécurité
2- La formation des usagers et des représentants d’usagers
L’absence de formation ne saurait être un frein à la participation des usagers dans les retours d’expérience. Néanmoins, dans ce cas, les enjeux d’objectifs, les points de méthode, et les circonstances du retour d’expérience doivent être expliqués et partagés avec eux.
Cependant, la culture des retours d’expérience en France nécessite de poursuivre les efforts de formation dans ce champ, tant pour les professionnels que pour les usagers et les représentants d’usagers. Cela permettra à la fois de faciliter la participation de ces derniers et d’enrichir leur compréhension des enjeux d’un retour d’expérience. Les retours d’expérience n’ont pas pour objectif de chercher des responsabilités, individuelles ou collectives, mais d’analyser un dysfonctionnement en vue d’y apporter des actions correctives afin que les dysfonctionnements évitables ne se reproduisent pas. Ce point est essentiel à rappeler à tous les intervenants, afin que la parole reste la plus libre possible et permette de comprendre les éléments qui ont amené au dysfonctionnement.
Ces formations peuvent être opérées par les associations dont sont issus les usagers ou leurs représentants quand ils en relèvent ou par les établissements ou les services où ont lieu ces retours d’expérience. Les établissements ayant proposé d’ouvrir aux représentants des usagers, des proches, des familles ou des personnes concernées, les formations initialement dédiées aux professionnels ont montré l’intérêt des formations conjointes. Ainsi, les formations dédiées aux professionnels au sein des établissements devraient être ouvertes aux représentants des usagers.
3- Après la crise du COVID-19, l’intérêt de retours d’expérience « parcours »
La crise du COVID a été particulièrement illustrative des difficultés vécues par les personnes dans l’articulation de leur prise en charge sanitaire et de leur accompagnement social ou médico-social. De nombreux témoignages ont été émis et repris dans de nombreux articles de presse écrite ou audio-visuelle relatant les obstacles rencontrés.
Dans ce contexte, les retours d’expérience doivent aussi pouvoir porter sur les liens entre la prise en charge sanitaire et/ou l’accompagnement social et médico-social et les conséquences du confinement (arrêt des soins, violence intrafamiliale, rupture de suivi en santé mentale, syndrome de la cabane, deuil impossible ou pathologique).
La participation des usagers et de leurs représentants aux retours d’expérience doit être réelle, si l’on veut que la crédibilité de type d’évaluation ne soit pas atteinte par une critique de « participation alibi ». La publicité de la démarche entreprise doit leur permettre de s’y impliquer, en bénéficiant de l’ensemble des informations leur permettant leur légitime implication.
[1] Reason J. L’erreur humaine, Paris, Presses des Mines, Collection Économie et gestion, 2013.
[2] On appelle analyse systémique, une analyse globale de la situation, prenant en compte tous les éléments (organisationnels, techniques et humains en interaction ayant contribué à la prise en charge du patient. Elle permet de dépasser la seule réflexion centrée sur une ou des personnes. (Haute Autorité de santé. Revue de mortalité et de morbidité (RMM). Saint-Denis La Plaine: HAS; 2009).
[3] Haute Autorité de santé. Retour d’expérience en santé (REX) : Comprendre et mettre en œuvre. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2014.
[4] Ministère des Solidarités et de la Santé. Retour d'expérience - Guide méthodologie. Situations d’urgence sanitaire et exercices de simulation. Paris; 2019.
[5] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/04/22/dix-ans-apres-la-grippe-a-h1n1-le-monde-est-il-mieux-prepare-face-a-une-future-pandemie_5453561_1650684.html
[6] Dans le cas particulier de l’épidémie de Covid-19, pour laquelle le virus SARS-Cov-2 était très mal connu au début de l’épidémie, l’analyse des dysfonctionnements devra prendre en compte les connaissances disponibles au moment où ces dysfonctionnements ont eu lieu ou au moment où les décisions ayant conduit à ces dysfonctionnements ont été prises. Par ailleurs, étant donné le contexte particulier de cette épidémie, il est possible que les parties prenantes au RETEX ne soient pas d’emblée d’accord sur ce qui constitue « un dysfonctionnement ».
[7] Haute Autorité de santé. Retour d’expérience en santé (REX) : Comprendre et mettre en œuvre. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2014.
[8] Quelier C, Isnard H, Lahoute C, Deugnier D. Retour d’expérience sur la pandémie grippale : une critique et des propositions. Act Doss Santé Publ 2011;74:8-10.
[9] Lagadec P, Laroche H, Groupement d'intérêt scientifique Risques collectifs et situations de crise. Retour sur les rapports d'enquête et d'expertise suite à la canicule de l'été 2003. Cahiers du GIS - Risques collectifs et situations de crise 2005;4.
[10] Ainsi, le Ministre des Affaires sociales et de la Santé déclare (Le Parisien) dès le 18 février que « le partage d’information et le retour d’expérience sont essentiels ».
[11] Haute Autorité de santé. Colloque HAS : la pertinence, du concept à l’action - Paris - 14 novembre 2017.
[12] « La société a droit de demander compte à tout agent public de son administration », article 15 de la DDHC intégrée à la Constitution.
[13] Par exemple : Observatoire des médicaments des dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques Auvergne. Document d’aide à la mise en place d’un comité de retour d’expérience (crex) et à l’analyse systémique des évènements indésirables par la méthodologie Orion. Clermont Ferrand: OMEDIT; 2014.
[14] Haute Autorité de santé. Numérique : quelle (R)évolution ? Rapport d'analyse prospective 2019. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2019.