Modification du schéma vaccinal contre le SARS-CoV-2 dans le nouveau contexte épidémique
Contexte
A ce jour, la situation de l’épidémie à SARS-CoV-2 est préoccupante, avec une circulation du virus qui se poursuit à un niveau élevé sur le territoire national, associée à un risque important de diffusion très rapide, dans les prochaines semaines, de nouveaux variants, dont plusieurs cas ont déjà été détectés sur le territoire national (variant « anglais » et variant « sud-africain » notamment).
Nous disposons actuellement en France de deux vaccins à ARNm ayant obtenu une AMM conditionnelle dans l’immunisation active pour la prévention de la Covid-19 causée par le virus SARS-CoV-2 : le 21 décembre 2020 pour le vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNTech, (à partir de l’âge de 16 ans, en 2 doses espacées d’au moins 21 jours) et le 6 janvier 2021 pour le vaccin à ARNm Covid-19 de Moderna (à partir de l’âge de 18 ans en deux doses, à 28 jours d’intervalle).
A son démarrage le 27 décembre 2020, la campagne de vaccination contre la Covid-19 en France ciblait les résidents d’établissements accueillant des personnes âgées et résidents en services de longs séjours (EHPAD, USLD,…) et les professionnels de santé exerçant dans les établissements accueillant des personnes âgées présentant eux-mêmes un risque accru de forme grave/de décès (plus de 65 ans et/ou présence de comorbidité(s)), conformément aux recommandations de la HAS pour la stratégie vaccinale mises en ligne le 30 novembre 2020.
Par la suite, la vaccination a été ouverte à l’ensemble des professionnels de santé remplissant les critères de ciblage établis par la HAS (professionnels de santé de plus de 50 ans ou présentant des comorbidités avec risque de forme grave de Covid-19). Et le 18 janvier 2021, la vaccination des personnes âgées de plus de 75 ans a débuté et le Ministère a décidé que les patients vulnérables à très haut risque[1] pourraient être vaccinés de manière progressive, à compter de cette même date.
Cet élargissement des populations cibles couplé à l’arrivée préoccupante de nouveaux variants du SARS-CoV-2 sur le territoire national, dans un contexte de limitation en nombre de doses de vaccin, plaident pour une accélération de la vaccination, en particulier pour les sujets les plus à risque de forme sévère.
Dans ce contexte, l’ANSM et Santé publique France ont émis des avis respectivement le 7 et le 11 janvier 2021.
- Le 07 janvier 2021, l’ANSM a émis un avis relatif à la seconde dose du vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNtech (9), considérant qu’ « il est nécessaire de maintenir l’administration de deux doses de vaccins aux personnes vaccinées » et que « le délai d’administration de la 2nde dose peut être envisagé entre 21 et 42 jours au vu des circonstances actuelles spécifiques, afin d’élargir la couverture vaccinale des personnes prioritaires ».
- Le 11 janvier, en réponse à la saisine du Ministère sur ce sujet, Santé publique France, « dans le contexte épidémiologique actuel et au vu des données disponibles concernant les vaccins utilisant la plateforme ARMm », a exprimé un avis « favorable à une stratégie consistant à utiliser l'ensemble des doses disponibles pour administrer la première dose au plus grand nombre et à différer la seconde dose au-delà des 3 ou 4 semaines recommandées par les 2 producteurs de vaccins ».
Au regard de ces avis, du nouveau contexte épidémiologique et des données actuellement disponibles, la HAS s’est saisie du sujet afin de préciser ses précédents avis concernant le délai à recommander entre les deux doses des vaccins qu’elle a récemment évalués.
Argumentaire et recommandations de la HAS
Sur la base :
- Des connaissances scientifiques acquises à date :
- les personnes les plus âgées constituent les populations les plus à risque (l’âge est le facteur de risque prédominant de formes graves de Covid-19, d’hospitalisation et de décès;
- les autorisations de mise sur le marché des deux vaccins actuellement disponibles prévoient un schéma d’administration à 2 doses espacées de 21 jours pour l’un et 28 jours pour l’autre
- les données cliniques chez les personnes les plus âgées issues des essais ayant étudié les deux vaccins à ARNm, montrent une réponse immunologique satisfaisante et une efficacité vaccinale similaire à celle retrouvée chez les personnes les plus jeunes ;
- les études immunologiques dans les essais de phase 1/2 montrent l’intérêt de l’administration d’une seconde dose pour installer une mémoire immunitaire ;
- les résultats des essais de phase 3 pour les vaccins à ARNm actuellement disponibles, montrent que l’efficacité du vaccin Comirnaty débute à partir du 12ème jour après la première dose et celle du vaccin de Moderna à partir du 14ème jour après la première dose ;
- l’expérience acquise en vaccinologie montre que l’espacement des doses au sein d’un schéma vaccinal peut retarder l’obtention d’une protection durable mais permet aussi l’obtention d’une réponse immune de niveau plus élevé après la dose suivante. Ainsi, il est généralement considéré que si, pour des raisons de maturation immunologique, l’intervalle minimal entre les doses doit être respecté, l’allongement de cet intervalle amène, en matière de protection à long terme, plus d’avantages que d’inconvénients ;
- l’absence de phénomène d’ADE (antibody dependant enhancement) rapporté au cours des essais cliniques ;
- l’absence de position consensuelle des autres pays sur la question du schéma vaccinal dans le contexte épidémiologique actuel.
- l’absence de position consensuelle des autres pays sur la question du schéma vaccinal dans le contexte épidémiologique actuel.
- Des incertitudes qui subsistent à ce stade :
- la durée de la persistance et la cinétique des anticorps après l’administration d’une seule dose (la durée de protection ne peut pas être garantie au-delà de la fenêtre d’administration retenue dans le protocole d’étude, c’est-à-dire au-delà de 42 jours pour le vaccin Comirnaty) ;
- l’absence de corrélat immunologique de protection chez l’Homme ;
- l’absence de donnée sur l'efficacité à long terme d'une dose unique des vaccins à ARNm, en particulier chez les personnes très âgées ;
- le risque d’émergence d’un ou de plusieurs variants échappant à l’immunité induite par la vaccination ;
- Des résultats des modélisations
- sur données françaises réalisées en collaboration avec l’Institut Pasteur, qui montrent que :
- l’allongement du délai entre les deux doses à 42 jours permettrait d’administrer une première dose de vaccin plus rapidement aux populations les plus à risque à court terme (au moins 700 000 personnes supplémentaires vaccinées le premier mois selon les capacités vaccinales).
- en moyenne, quelles que soient les hypothèses considérées et en ne prenant en compte que les vaccins à ARNm, l’allongement du délai entre les deux doses de vaccin à 42 jours permet d’obtenir un gain temporel moyen de 10 jours par personne vaccinée ;
- nord-américaine et québécoise en faveur, dans les deux cas, d’un impact populationnel plus optimal d’une stratégie visant à augmenter le nombre de personnes recevant une première dose de vaccin ou de reporter l’administration de la seconde dose sur la réduction des hospitalisation ou des décès et ce, quelles que soient les hypothèses retenues ;
- sur données françaises réalisées en collaboration avec l’Institut Pasteur, qui montrent que :
- Considérant de plus :
- le nouveau contexte épidémique actuel caractérisé par la circulation très active du virus sur le territoire national et le risque important de diffusion très rapide, dans les prochaines semaines, de nouveaux variants plus contagieux déjà détectés sur le territoire national;
- la disponibilité réduite des doses de vaccins ayant montré leur efficacité chez les personnes âgées de plus de 65 ans, population particulièrement vulnérable ;
- la nécessité d’optimiser la distribution de ces doses et de garantir l’équité d’accès aux vaccins à très court terme des personnes âgées (75 ans et plus puis 65 à 74 ans en commençant par ceux qui présentent des comorbidités) qui sont les plus vulnérables à;
La HAS considère :
- que l’administration d’une seconde dose pour les deux vaccins à ARNm actuellement disponibles reste indispensable pour une protection au long cours ;
- que l’efficacité vaccinale constatée dans les essais cliniques apparaît suffisamment élevée entre les deux doses pour envisager un espacement de l’intervalle entre ces deux doses, malgré les incertitudes non encore levées, au regard des bénéfices attendus dans les prochaines semaines en termes de couverture vaccinale des populations les plus vulnérables et des enjeux d’équité de traitement, dans le nouveau contexte épidémique.
Il apparait donc raisonnable, de préconiser le report de la 2ème dose à 6 semaines, pour les deux vaccins à ARNm, afin d’accélérer l’administration de la première dose aux personnes les plus vulnérables, dans l’ordre de priorité préalablement établi par la HAS, sous réserve des conditions suivantes :
- les doses de vaccins à ARNm disponibles doivent être réservées en priorité à la vaccination des personnes de 75 ans et plus puis des personnes de 65 ans à 74 ans en commençant par ceux qui présentent des comorbidités (chez lesquelles le risque de décès lié à la COVID 19 est supérieur [7]), selon la stratégie vaccinale établie par la HAS
- la mise en œuvre rapide de cette modification du schéma vaccinal
- l’utilisation de la totalité des doses disponibles des 2 vaccins à ARNm et le maintien de la capacité vaccinale y compris pendant les potentielles périodes de confinement
La HAS préconise la mise en place d’un suivi des ajustements du programme de vaccination à ce nouvel intervalle entre les deux doses (sur le plan logistique et organisationnel) doit être mis en place.
Dans tous les cas, les mesures barrières et de distanciation physique devront être maintenues à leur niveau optimal jusqu’à nouvel ordre. La HAS recommande qu’une communication institutionnelle sur leur maintien soit poursuivie.
La HAS actualisera cet avis en fonction des données disponibles en particulier les données en vie réelle dans les pays ayant déjà adopté cette stratégie.
La HAS souhaiterait disposer notamment des données d’impact de la vaccination, en France et à l’étranger sur l’incidence des infection
[1] Il s’agit des personnes atteintes de cancers et de maladies hématologiques malignes en cours de traitement par chimiothérapie ; de maladies rénales chroniques sévères (dont les patients dialysés) ; transplantés d’organes solides ; transplantés par allogreffe de cellules souches hématopoïétiques ; de polypathologies chroniques et présentant au moins deux insuffisances d’organes ; de certaines maladies rares et particulièrement à risque en cas d’infection (liste spécifique établie par le COS et les filières de santé maladies) et enfin les sujets atteints de trisomie 21.