Avis n°2022.0060/AC/SESPEV du 10 novembre 2022 du collège de la Haute Autorité de santé relatif à la généralisation du dépistage de la drépanocytose en France métropolitaine
À la lumière de nouvelles alertes de professionnels de santé et de patients, ainsi que de nouvelles données épidémiologiques et scientifiques publiées depuis 2014, la HAS recommande la généralisation du dépistage néonatal de la drépanocytose en Métropole, pour éviter que des enfants n’échappent au dépistage ciblé.
En France, le dépistage néonatal systématique de la drépanocytose a d’abord été déployé aux Antilles françaises (1984 en Guadeloupe, 1989 en Martinique) pour être élargi, à partir de 1992, à l’ensemble des nouveau-nés des départements et régions d’Outre-mer. En Métropole, un dépistage ciblé de la drépanocytose a été introduit en 1995 en Île-de-France puis progressivement généralisé pour couvrir l’ensemble du territoire en 2000. Il est restreint aux nouveau-nés de parents originaires de régions à risque (dépistage ciblé).
La HAS a déjà examiné la question la pertinence de la généralisation du dépistage néonatal de la drépanocytose en Métropole. Dans son rapport d’orientation de 2014, le Collège de la HAS a conclu qu’il n’y avait alors pas d’élément permettant de justifier la pertinence d’une stratégie de dépistage néonatal systématique de la drépanocytose en France métropolitaine. Ses principaux arguments étaient les suivant :
- Au niveau national, les inconnues tant épidémiologiques que démographiques, ne permettaient pas d’estimer les bénéfices (en cas supplémentaires dépistés) d’une stratégie de dépistage de la drépanocytose appliquée à l’ensemble des nouveau-nés en France métropolitaine, et dès lors son efficience ;
- Au vu de la littérature, les données ne permettaient pas de calculer le nombre d’enfants drépanocytaires non détectés par la stratégie de dépistage ciblé (ni les conséquences sanitaires afférentes) ;
- Il n’avait pas été relevé de signaux clairs d’un manque d’efficacité de la stratégie actuelle du dépistage néonatal ciblé.
En réponse à des alertes de cliniciens, d’associations de patients, du Défenseur des droits, ainsi que de nouvelles données publiées qui remettent en cause l’efficacité du ciblage, la HAS a de nouveau été saisie par le Directeur général de santé (DGS), en avril 2018, afin de réévaluer la pertinence de la généralisation du dépistage néonatal de la drépanocytose en Métropole, pour éviter que des enfants n’échappent au dépistage ciblé.
Considérant :
- que la drépanocytose est la plus fréquente des maladies génétiques dépistées à la naissance en France métropolitaine et qu’elle est à la limite de la définition de maladie rare ;
- que les tendances épidémiologiques montrent une augmentation, certes faible mais régulière, du nombre de cas dépistés en France chaque année, dans un contexte de brassage populationnel et qu’aucune région en France n’est indemne de cas ;
- que cette pathologie, si elle n’est pas prise en charge précocement, est responsable d’une forte morbidité et d’une réduction importante de la survie ;
- qu’une prise en charge préventive ayant démontré un impact sur la morbi-mortalité peut être mise en place précocement ;
- que, sur le terrain, les professionnels font état de la difficulté d’appliquer les critères de ciblage permettant de repérer de manière efficace les nouveau-nés à risque ;
- que ce ciblage est à l’origine d’un risque de perte de chance pour certains nouveau-nés en France dans l’accès au dépistage et qui pose donc un problème éthique et est source d’iniquité ;
- que des données récentes montrent que des nouveau-nés qui étaient éligibles ont échappé au ciblage en Île-de-France et en dehors de l’Île-de-France ;
- que le Défenseur des droits considère que « le maintien d’un dépistage ciblé de la drépanocytose est contestable en l’état actuel des connaissances » car les méthodes de ciblage pourraient stigmatiser certains groupes de la population et pourraient par ailleurs être de moins en moins efficaces au vu des brassages de populations en France métropolitaine ;
- que la totalité des parties prenantes auditionnées ont exprimé une opinion en faveur d’un abandon du ciblage ;
- que la filière, maintenant réorganisée, est à même d’absorber assez rapidement la montée en charge du nombre de tests de dépistage qui devront être réalisés ;
- que tous les autres pays européens (dans lesquels l’incidence de la drépanocytose est moindre qu’en France), ayant intégré la drépanocytose dans leur programme de dépistage néonatal l’ont fait selon un mode universel ;
la HAS recommande l’arrêt du dépistage ciblé au profit d’un dépistage universel à l’ensemble des nouveau-nés en France métropolitaine, dans la perspective de réduire les cas d’échappement au dépistage néonatal de la drépanocytose.