Dépistage du cancer de la prostate chez les populations d’hommes présentant des facteurs de risque
Quelques données sur le cancer de la prostate en France :
- 71 200 nouveaux cas estimés de cancer de la prostate en 2011 (cancers du poumon 27 500, cancers colorectaux 21 500 cas)
- âge moyen au diagnostic en 2005 : 71 ans ;
- taux d'incidence (standardisé monde) en 2011 : 125,8 pour 100 000 hommes
- 8 700 décès par cancer de la prostate estimé en 2011 (cancer du poumon 21 000, cancer du colon 9200) ;
- taux de mortalité (standardisé monde) en 2011 : 10,8 pour 100 000 hommes ;
- âge médian au décès sur la période 2004-2008 : 80 ans (les ¾ des décès survenant après 75 ans).
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Que sait-on aujourd'hui des cancers de la prostate?
- C'est une tumeur qui survient tardivement et dont la fréquence augmente avec l'âge. Ainsi, les cancers de la prostate sont très rares avant 55 ans, les taux d'incidence étant quasiment nuls. Pour les hommes de 60-69 ans, les taux d'incidence sont de 268 pour 100 000, pour atteindre des taux de 1 211,8 pour 100 000 pour la tranche d'âge la plus représentée des 75-79 ans, et diminuer ensuite.
- La mortalité par cancer de la prostate a augmenté faiblement jusqu'en 1990 pour diminuer ensuite (-0,9% entre 1980 et 2005), cette diminution étant plus importante entre 2000 et 2005 (-2,5 % par an). Cette diminution faible mais constante de la mortalité par cancer de la prostate peut être en rapport avec l'amélioration des conditions de prise en charge.
- Environ un patient de plus de 50 ans sur trois a des signes histologiques de cancer de la prostate, avec jusqu'à 80% de ces tumeurs limitées en taille et en grade, et cliniquement non significatives comme le rapporte en 2009 l'association américaine d'urologie.
- Comme l'indique une expertise collective de l'Inserm publiée en 2008 sur Cancer et Environnement, ou aux Etats-Unis le travail plus récent du National Cancer Institute sur les aspects génétiques du cancer de la prostate, les causes et l'évolution de la maladie sont encore imparfaitement comprises. Une meilleure compréhension des mécanismes biologiques et génétiques déterminant pourquoi certains cancers de la prostate restent cliniquement silencieux alors que d'autres sont à l'origine de sérieuses atteintes est nécessaire.
Pourquoi n'y a-t-il pas de programme de dépistage organisé du cancer de la prostate en France, comme pour le cancer du sein ou celui du colon ?
Il est important de rappeler qu'un dépistage, quel qu'il soit, concerne par définition des personnes sans signe clinique, a priori en bonne santé. Dans le cas du cancer de la prostate, il s'agit d'hommes sans plaintes fonctionnelles.
De plus, la justification d'un dépistage repose sur l'idée qu'un diagnostic précoce va permettre d'améliorer le pronostic de la maladie.
Or il n'y a pas de preuve que le dépistage du cancer de la prostate diminue la mortalité et donc qu'il y ait un bénéfice qui soit supérieur aux conséquences physiques et psychologiques importantes (et pour certaines graves) des dosages de PSA (possibilité de faux positifs), des biopsies (pertes de sang dans les urines et le sperme, risque d'infections, de rétention urinaire, possibilité de faux négatifs), ou encore des traitements par chirurgie, radiothérapie ou hormonothérapie (troubles sexuels, urinaires et digestifs).
Il n'y a ainsi pas de programme de dépistage organisé du cancer de la prostate en France comme d'ailleurs aux Etats-Unis ou au Royaume Uni.
Dépistage systématique, ciblé, individuel organisé : question de définitions « Dépister » consiste à réaliser au sein d’un groupe de personnes ne présentant pas de symptômes apparents d’une maladie, des tests performants simples et rapides permettant de distinguer celles qui ont un risque faible d’être porteuses de la pathologie et celles dont le risque est suffisamment élevé pour justifier la poursuite de la procédure diagnostique. Il s’agit de s’assurer que le dépistage permet effectivement d’atténuer les problèmes de santé et qu’il ne revient pas seulement à allonger la durée pendant laquelle les personnes se savent malades. Le dépistage doit pouvoir conduire à modifier le processus de la maladie. En fonction de la population cible, un dépistage peut être :
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En quoi a consisté ce nouveau travail sur le dépistage du cancer de la prostate?
Ce travail s'inscrit dans le cadre du Plan cancer 2009-2013. Il fait suite à celui de juin 2010 portant sur l'intérêt du dépistage du cancer de la prostate en population générale pour lequel la HAS a conclu que les connaissances ne permettaient pas de recommander son dépistage systématique.
En 2011, la Direction Générale de la Santé a saisi la HAS afin qu'elle rende un avis sur l'identification des facteurs de risque de cancer de la prostate et la pertinence d'un dépistage de ce cancer par dosage de l'antigène spécifique prostatique (PSA) auprès de populations d'hommes considérées comme à haut risque de ce cancer.
Concrètement, l'avis demandé par la DGS a conduit la HAS à s'interroger sur deux points :
- Quels sont les facteurs de risque de survenue de cancer de la prostate et peut-on définir des niveaux de risque dont le « haut risque » ?
- Quelles sont les preuves disponibles sur les bénéfices et les risques d'un dépistage par dosage du PSA de ce cancer auprès de populations d'hommes définies comme « à haut risque » ?
Quels sont les facteurs de risque de cancer de la prostate ?
Les facteurs les plus régulièrement cités dans la littérature scientifique concernent des antécédents familiaux de ce cancer chez des parents du 1er degré (père, fils), une origine africaine, et des expositions à des agents environnementaux, notamment chimiques tels que certains pesticides. Toutefois, ces éléments sont encore imparfaitement cernés.
- La notion d'antécédents familiaux est très diversement précisée selon les sources. Des études épidémiologiques montrent un risque de cancer de la prostate multiplié par 2 à 5 en cas d'antécédents familiaux de ce cancer chez des parents du 1er degré (père, fils). Le risque étant plus élevé lorsque 2 parents ou plus sont atteints. Il existe une possible implication de plusieurs gènes avec différents modes de transmission.
- Dans les populations d'origine africaine américaine ou d'origine africaine en Grande Bretagne, une augmentation d'un facteur 2 à 3 du risque de cancer de la prostate a été observée. Il ne peut cependant pas être exclu que cette observation résulte de facteurs d'ordre socioéconomique.
- Le lien entre exposition à des agents environnementaux et cancer de la prostate est difficile à mettre en évidence. Il varie en fonction du type du (des) produit(s), de la dose utilisée et du temps d'exposition. Les données recueillies sont souvent incomplètes et imprécises. Concernant l'exposition à certains pesticides, en particulier chez les applicateurs et les employés des usines de production, elle serait associée à un risque accru de cancer de la prostate. Ce lien n'est pas à ce jour démontré.
Génétique Il n'a pas été identifié d'altération génétique unique spécifique au cancer de la prostate. En conséquence, aucun test génétique fiable et valide n'est disponible. La France s'est engagée depuis 2008 dans un rpogramme internationnal "Cancer génome consortium" piloté par l'INCA qui vise à séquencer le génome (matériel génétique) d'une cinquantaine de types de cancers afin de mieux comprendre le rôle des altérations génomiques dans leur développement. Un programme concernant le cancer de la prostate est en cours. |
Peut-on identifier des populations d'hommes à plus haut risque de cancer de la prostate ?
Non car si certains facteurs de risque génétiques et environnementaux de survenue de cancer de la prostate ont été identifiés et plus ou moins précisément établis dans la littérature, on ne sait pas à ce jour comment ces différents facteurs interagissent et s'ils se cumulent. Cette situation explique la difficulté à construire un modèle de risque fiable et ne permet pas de mesurer des niveaux de risque de survenue de ce cancer.
Que sait-on de l'évolution des cancers de la prostate chez les hommes ayant des facteurs de risque ?
Cette maladie a souvent une évolution lente, sur plusieurs années. Pour la plupart des hommes atteints, cette évolution de la tumeur n'entraîne pas de signes cliniques ou de symptômes au cours de leur vie.
De la même façon, que ce soit chez les hommes avec des antécédents familiaux ou d'origine africaine, il n'a pas été identifié dans la littérature d'éléments de haut niveau de preuve indiquant que les cancers de la prostate soient de forme plus grave ou d'évolution clinique plus rapide. Les connaissances sont limitées sur ce point.
Faut-il dépister le cancer de la prostate chez les hommes présentant des facteurs de risque ?
Concernant les populations d'hommes présentant des facteurs de risque, la HAS indique qu'il n'a pas été retrouvé d'éléments scientifiques permettant de justifier un dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA dans ces populations masculines.
En effet, l'efficacité de ce dépistage en termes de diminution de la mortalité n'a pas été établie dans ces populations spécifiques. Par ailleurs, les hommes qu'ils présentent ou non des facteurs de risque sont exposés aux mêmes inconvénients et risques du dosage sanguin de l'antigène spécifique de la prostate (possibilité de faux positifs notamment), des biopsies de confirmation diagnostique (pertes de sang dans les urines et le sperme, risque d'infections, de rétention urinaire, possibilités de faux négatifs) et ceux liés aux traitements chirurgicaux, par radiothérapie ou hormonothérapie (troubles sexuels, urinaires, digestifs).
Comme elle l'avait conclue pour la population générale en 2010, la Haute Autorité de Santé (HAS) considère qu'il n'existe pas de preuve de l'intérêt du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA chez les hommes sans symptômes considérés comme à plus haut risque de cancer de la prostate.
Quelles sont les positions des principaux organismes d'évaluation en santé au niveau international ?
Aucun organisme étranger d'évaluation en santé (notamment aux Etats-Unis comme au Royaume Uni) ne préconise de démarche spécifique de dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA auprès de populations d'hommes avec des facteurs de risque.
L'US Preventive Services Task Force (USPSTF) a formulé de nouvelles recommandations, mises en consultation publique en octobre 2011. Elle se prononce contre le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA de populations d'hommes sans symptômes évocateurs de cancer de la prostate quel que soit l'âge, l'origine ethnique ou l'histoire familiale (grade D). L'USPSTF n'a pas évalué l'utilisation du PSA au sein d'une stratégie diagnostique chez les hommes hautement suspectés d'être atteints de cancer de la prostate ou comme examen de surveillance après le diagnostic ou le traitement.
Cela signifie-t-il que le dosage de l'antigène spécifique prostatique est inutile ?
Dans un objectif de dépistage du cancer de la prostate chez un homme asymptomatique, aucun examen de dépistage performant n'est actuellement disponible, le dosage du PSA n'ayant pas toutes les qualités nécessaires à un test de dépistage (reproductibilité, validité) : les limites et les difficultés d'interprétation de cet examen se retrouvent de la même façon pour des hommes avec ou sans facteurs de risque.
Pour autant, le dosage sanguin de l'antigène spécifique prostatique est un marqueur utile dans un contexte de diagnostic et de suivi du traitement d'un cancer de la prostate.
La HAS rappelle l'importance de la recherche sur des tests de dépistage performants et sur des marqueurs permettant de distinguer les formes agressives des formes non-agressives de cancer de la prostate à évolution lente et sans impact sur la vie des patients.
Quelle est la situation aux Antilles ? Que préconise la HAS ?
Comme en France métropolitaine, le cancer de la prostate se situe au 1er rang des cancers incidents aux Antilles, avec pour la Guadeloupe des taux d'incidence plus élevés qu'en France métropolitaine. Il représente la 1ère cause de mortalité par tumeurs chez l'homme aux Antilles, avec des taux de mortalité par cancer de la prostate plus élevés en Guadeloupe et en Martinique qu'en France métropolitaine. Il s'agit d'une situation qui n'est cependant pas spécifique au cancer de la prostate. En effet, d'autres cancers comme le cancer de l'estomac, présentent des taux d'incidence et de mortalité environ deux fois plus élevés pour les Antilles que pour la France métropolitaine.
L'appréciation de la situation épidémiologique aux Antilles, au regard de celle de la France métropolitaine, repose sur des données d'incidence et de mortalité qui présentent certaines limites, compte tenu de modalités de recueil et d'estimation différentes. A titre d'exemple, s'il existe un registre général des cancers en Martinique depuis 1983, la mise en place d'un tel registre en Guadeloupe est plus récente (2009).
L'interprétation de ce type de données doit donc rester prudente pour cette raison mais également compte tenu des nombreux facteurs socioéconomiques et environnementaux pouvant expliquer les différences constatées.
En effet, l'incidence et la mortalité sont sensibles au développement de la maladie au sein de la population étudiée, mais également à d'autres facteurs comme le vieillissement de la population, les pratiques de prise en charge diagnostique et thérapeutique ou l'accès aux soins.
Au vu des incertitudes majeures sur les bénéfices d'un dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA sur la diminution de la mortalité et des conséquences physiques et psychologiques avérées associées aux dosages de PSA, aux biopsies et aux traitements, la mise en place d'un dépistage par dosage de PSA à l'échelle populationnelle n'apparait donc pas être la réponse adaptée face à la situation antillaise en l'état actuel des connaissances.
Pour autant, la HAS rappelle que la poursuite des études en cours et la mise en place d'études nouvelles portant sur les spécificités cliniques éventuelles et l'organisation de la prise en charge actuelle du cancer de la prostate sont essentielles à une meilleure compréhension de la situation et à la détermination des réponses les plus appropriées.
Qu'indique l'étude épidémiologique (KARUPROSTATE) menée aux Antilles ?
L'étude KARUPROSTATE est la première et unique étude de type cas-témoins à avoir recherché la relation entre chlordécone (pesticide utilisé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier) et cancer de la prostate chez des hommes originaires de Guadeloupe, Martinique, Haïti et La Dominique, à partir de l'analyse de leur taux sanguin de chlordécone.
Les résultats de KARUPROSTATE indiquent qu'il ne suffit pas d'être exposé au chlordécone pour que le risque de développer un cancer de la prostate soit augmenté. Il faut que le taux du pesticide dans le sang atteigne un certain niveau (>0,96 micro/ml) pour qu'il existe une augmentation statistique de ce risque. Mais l'exposition au chlordécone n'est pas un facteur indépendant d'autres facteurs de risque. Ainsi, parmi les hommes ayant des taux de chlordécone élevés, seuls les hommes présentant des antécédents familiaux de ce cancer et ayant séjourné hors des Antilles présentaient un risque de cancer de la prostate statistiquement augmenté.
Au-delà des biais inhérents à ce type d'étude (biais de sélection1, de mémorisation2, de confusion3), et de la difficulté à établir la chronologie entre l'exposition et la maladie, l'étude KARUPROSTATE témoigne que le développement d'un cancer de la prostate est multifactoriel et résulte d'interactions encore imparfaitement cernées entre des facteurs d'ordre génétique et d'ordre environnemental.
1 Avec comme conséquence des groupes non comparables.
2 Erreur attribuable au fait que les sujets du groupe cas ou témoin, peuvent ne pas se rappeler des expositions à un facteur quelconque et ne le signalent donc pas.
3 Les facteurs étudiés peuvent être des variables confondantes (la fréquence augmentée est attribuée à un facteur donné alors que d'autres facteurs en sont à l'origine).
Quels sont les prochains travaux de la HAS sur le cancer de la prostate ?
La HAS insiste sur l'importance de l'information à apporter aux hommes envisageant la réalisation d'un dépistage individuel du cancer de la prostate et rappelle l'existence d'un guide d'information publié par l'Anaes en 2004, dont la mise à jour fait actuellement l'objet d'un travail sous la coordination de l'INCa, en association avec la HAS.
De plus, la HAS mène des travaux sur le diagnostic et la prise en charge du cancer de la prostate : un guide de parcours de soins du cancer de la prostate diagnostiqué a été publié au mois de mars 2012 (guide ALD en partenariat avec l'INCa).
Comment aborder la question du dépistage du cancer de la prostate avec un homme qui l'envisage ?
Le dépistage du cancer de la prostate doit faire l'objet d'un dialogue entre l'homme et son médecin traitant. A cette occasion, une information objective sur les incertitudes concernant le bénéfice de la démarche et sur les inconvénients et les risques auxquels le dépistage l'expose à chacune de ses étapes (dosage du PSA, biopsie et traitements) devrait lui être donnée. Il s'agit de permettre aux hommes qui s'interrogent sur l'intérêt du dépistage du cancer de la prostate de prendre autant que faire se peut une décision éclairée. Dans cette tâche complexe, les praticiens peuvent s'appuyer sur les guides publiés par la HAS à destination des médecins et des patients, d'une part sur les « Eléments d'information à donner aux hommes envisageant la réalisation d'un dépistage individuel de la prostate » (document en cours d'actualisation sous la coordination de l'INCa) et d'autre part sur la prise en charge du cancer de la prostate diagnostiqué « guide ALD cancer de la prostate » réalisé en partenariat avec l'INCa, qui vient d'être actualisé.